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09/03/2018

Foucault et l'héritage chrétien

   On attendait depuis longtemps cet ultime volume de l'Histoire de la sexualité de Michel Foucault, intitulé Les Aveux de la chair. Le voilà qui paraît aujourd'hui, pour clore sur les Pères de l'Église un travail commencé avec la Grèce antique. Foucault renouvelle, ce faisant, notre idée de la philosophie antique et de la religion des premiers siècles. Il nous livre, avec dextérité, un regard neuf et passionnant. Avec ce dernier volume, c'est tout l'héritage chrétien de l'Europe qui est pesé, analysé, commenté. Foucault le remet en perspective, d'une manière qui heurtera sans doute les préjugés acquis de bon nombre de nos contemporains. Ainsi, dans ces Aveux de la chair, il offre à voir aux hommes et aux femmes du XXIe siècle l'esprit même qui présidait à la manière de concevoir la sexualité au sein de la religion. Tour de force remarquable, que Foucault accomplit par exemple en parlant de la virginité. Il écrit ainsi : "La virginité chrétienne est tout autre chose que la forme radicale ou exaspérée d'un précepte de continence que la morale philosophique connaissait bien dans l'Antiquité et dont les premiers siècles chrétiens avaient hérité." Je vais vous parler aujourd'hui, à partir d'une page de ce livre qui m'a particulièrement frappé, du "désœuvrement" chrétien, que Foucault met savamment en lumière à travers le thème de la virginité.

   Foucault commence par définir la virginité comme un "état de tranquillité" par rapport au mariage. Cet état a recours en effet "au vocabulaire philosophique de l'existence sereine" qu'il va étudier dans cette page notamment. Foucault souligne qu'à cette époque le thème de la vie tranquille est central. Il doit beaucoup à la philosophie antique, mais les Pères de l'Église, dont saint Augustin, vont le perfectionner considérablement ; en effet, ce thème, écrit Foucault, "est aussi au cœur d'un problème interne au christianisme [...] qui concerne le statut de la vie contemplative, les méthodes pour y parvenir, et les mérites qui lui sont propres". Foucault s'attache alors, pour illustrer son propos, à commenter un écrit de saint Augustin, Discours sur le psaume 132. L'apport d'Augustin, comme à beaucoup d'autres endroits, est en général crucial. Foucault le montre bien, en nous disant qu'Augustin "évoque trois genres de vie à travers les trois personnages de Noé, de Daniel et de Job". C'est Daniel qui nous intéresse ici, à qui est associée l'image suivante, comme nous le dit Foucault :

deux hommes couchés dans un lit : ainsi sont désignés ceux qui ont "aimé le repos", ceux qui "ne se mêlent pas aux foules" ni au "tumulte du genre humain", mais qui "servent Dieu dans la tranquillité".

Il s'agit de la "tranquillité de la vie hors mariage", qui n'est sans doute, ajoute saint Augustin dans ce texte, pas toujours facile à conserver. Foucault note que cette tranquillité est "indissociable de l'affrontement permanent avec l'Ennemi", symbolisé classiquement par deux lions, et que Daniel, dans ce contexte, est appelé "vir desideriorum". Dans un tel combat (celui de la tentation), finalement, "c'est la grâce de Dieu qui donne la victoire", peut ajouter Foucault. On aura bien compris, avec tout cela, que le "désœuvrement" dont il est question dans ce passage est spécifique aux premiers siècles du christianisme. Mais son originalité aura marqué les esprits, à tel point qu'aujourd'hui même nous le comprenons parfaitement. Et Foucault, dès lors, de conclure :

La continuité du thème de la "tranquillitas", de l' "otium", marque en fait le passage d'une économie négative de l'abstention et de la continence à une conception de la virginité comme expérience complexe, positive et agonistique.

Michel Foucault, Les Aveux de la chair. Histoire de la sexualité, tome 4. Édition établie par Frédéric Gros. Éditions Gallimard, 24 €.

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