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24/03/2019

Bernanos, prophète des temps présents

   C'est un très beau volume des "essais, pamphlets, articles et témoignages" écrits par Bernanos (1888-1948) que viennent de publier les éditions Laffont dans leur toujours remarquable collection "Bouquins". En un peu plus de 1300 pages, on a là un recueil qui regroupe l'essentiel des œuvres non romanesques de l'auteur de Monsieur Ouine. Elles sont présentées brièvement par Romain Debluë, qui n'empiète pas sur la pensée de l'auteur, mais l'éclaire par quelques indications, quelques repères bienvenus. Aussi bien, des textes comme Les Grands cimetières sous la lune, ou La France contre les robots, et quelques autres, sont devenus de grands classiques. La pensée de Bernanos nourrit l'homme contemporain, qui ne sait plus à quel saint se vouer. Si les hommes entendent vivre d'une vie bonne, en tenant compte d'une éthique, il leur faut réfléchir à un moment ou à un autre à la politique et au sens de l'histoire. C'est ce à quoi nous aide un grand catholique comme Bernanos, qui eut comme souci constant l'appréhension vraie de la liberté humaine.

   Dans Les Grands cimetières sous la lune, par exemple, Bernanos dénonce le scandale dans l'Église d'Espagne, coupable à ses yeux (comme aux nôtres) d'avoir légitimé les crimes des franquistes. Comment faire la distinction entre une institution divine, l'Église, et les hommes qui la composent et l'ont trahie ? Bernanos nous répond alors par cette simple phrase : "Le Christianisme réside essentiellement dans le Christ." Dans Jeanne, relapse et sainte, Bernanos ira encore plus loin dans son "anticléricalisme". Nous pouvons puiser aujourd'hui encore dans un tel débat, posé de manière si claire par Bernanos, lorsqu'il s'agit de juger du scandale de la pédophilie dans l'Église, et d'avancer des arguments dans tel ou tel sens.

   De même, pour observer l'inextricable évolution sociale de l'humanité, à l'échelle mondiale, relire La France contre les robots serait bien utile. Bernanos voit le mal dans l'asservissement technique de l'homme, qui préfigure sa disparition. Dans cet essai extraordinaire, Bernanos a prophétisé l'impasse économico-libérale dans laquelle nous nous trouvons désormais. Il nous répète que la liberté est un bien inaliénable, dont nous sommes cependant dépossédés. 

   Le mouvement actuel des "gilets jaunes" aurait sans doute intéressé Bernanos, j'en suis convaincu. J'ai assisté récemment, à l'occasion d'une projection-débat à partir du film de François Ruffin J'veux du soleil !, à une discussion avec des "gilets jaunes". Leurs différentes interventions se sont succédé dans un certain désordre (à l'image même de ce mouvement disparate), mais avec un esprit d'ensemble qui, au bout du compte, revendiquait la fraternité humaine dans les relations sociales, et même, dirais-je, l'amour entre les hommes. Bernanos aurait probablement été d'accord avec cette grande aspiration morale qui s'exprime ainsi à travers une révolte ; il pensait d'ailleurs qu'elle demeurerait toujours l'une des vocations de la France.

   La pensée de Bernanos n'était cependant pas des plus optimistes. Il estimait que la mort spirituelle de l'être humain allait étendre son règne, mais qu'il fallait lui résister, pour sauver son âme. Relisons ce passage tiré des Grands cimetières sous la lune :

   "Nous mourrons revêtus de notre peau, de notre vraie peau, et non pas de vos défroques sinistres. Nous pourrirons tranquillement dans notre peau, la nôtre, sous la terre – notre terre – la terre que vos saletés de chimistes n'ont pas encore eu le temps de sophistiquer – pourvu, il est vrai, que les services d'hygiène ne nous aient pas préalablement arrosés d'essence et transformés en noir animal ou en goudron."

Georges Bernanos, Scandale de la vérité. Essais, pamphlets, articles et témoignages. Édition établie, présentée et préfacée par Romain Debluë. Éd. Robert Laffont, coll. "Bouquins". 32 €.