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07/12/2025

Réponse de JEM à M. l'abbé de Servigny

L'abbé de Servigny, prêtre à l'église Saint-Michel à Brest, m'avait envoyé un commentaire très élaboré sur ma conférence. Voici ma réponse.

À M. l’abbé de Servigny

Cher M. L’abbé,

Je vous redis ici ma gratitude pour les quelques commentaires précieux que vous avez
bien voulu rédiger sur ma conférence « La frange du manteau ». Je vous ai lu avec
attention, et n’ai pas la prétention de répondre à toutes vos remarques, qui viennent
d’un chrétien évidemment beaucoup plus avancé que je ne le suis dans la sainteté.
Dans cette conférence, j’exprimais d’abord mes insuffisances, mais aussi ma soif de
spiritualité et de cette « eau vive » que le Christ promettait à la Samaritaine. Je ne
sais si je m’en suis rapproché, en tout cas je l’espère un peu. Et comme l’énonce un
proverbe peul : « L’erreur n’annule pas la valeur de l’effort accompli. »

Sur le « credo quia absurdum » : j’ai été très influencé par la lecture de Pascal,
auquel le pape François a tenu à rendre un hommage vibrant dans sa Lettre
apostolique Grandeur et misère de l’homme (19 juin 2023). C’est un auteur que j’ai
lu et relu, et étudié, et que je relis encore. Il m’a ouvert la voie à Descartes et à
Montaigne. Pascal se plaçait dans la veine du « credo quia absurdum », notamment
parce que, dans les Pensées, il s’adresse à ses amis libertins. On pourrait convoquer
ici saint Paul, comme premier élément de discernement dans l’obscurité
fondamentale de celui qui, comme les amis de Pascal, reste sceptique : « Car ce qui
est folie de Dieu est plus sage que la sagesse des hommes, et ce qui est faiblesse de
Dieu est plus fort que la force des hommes. » (1Cor 1, 25) Ou bien le même saint
Paul à Athènes, chez les philosophes : « Lorsqu’ils entendirent parler de résurrection
des morts, les uns se moquèrent, etc. » (Ac 17, 32) Tout ceci, selon moi, montre la
difficulté de croire, et bien sûr la grandeur de la Foi, qui est au-delà de la raison. (Je
vous rassure sur un point, je ne suis pas du tout rationaliste.)

Évidemment, vous avez une très belle formule : « La foi n’est pas un saut dans la
folie mais dans l’inconnu ; un inconnu que l’on pressent être une sagesse. » Certains
fidèles peuvent se dire cela, en effet, mais ce sont les plus avancés. La plupart en sont
loin. Et ma conférence s’adresse plutôt à ceux-ci, même si elle pose des questions que
les hommes de foi seraient les seuls à comprendre.

Vous relevez que « l’ego développe une relation éthique fondamentale ». Mais ce
n’est pas, dans la pensée de Levinas, envers soi-même, mais au contraire « pour
prendre l’Autre en considération », ce qui est un gros travail. D’où mon analyse de la
parabole du Bon Samaritain, texte pour moi central. Donc, une éthique tournée vers
l’Autre, et qui s’éloigne du soi-même, et qui n’est jamais narcissique. Je condamne
l’individualisme et le trop-plein de narcissisme de notre époque.

La prière en esprit et en vérité : vous dites très justement qu’elle est « ouverture
dans le Saint Esprit ». C’est pour moi un gage de sincérité. Il ne s’agit pas d’abolir la
liturgie, au contraire, mais de se dire que la religion continue après la messe, et que le
règne du Saint Esprit doit trouver sa place dans la vie profane, le plus possible. C’est
un idéal, et donc difficile à réaliser. Autrement dit, le Temple est désormais intérieur, 
avec le Christ, mais la Foi doit s’alimenter de tous les gestes sacrés qui inspirent la
sainteté, et du premier d’entre eux, la sublime Eucharisitie.

Je vous remercie d’avoir cité Exode 3, 14 : « Je suis qui je suis », dit Dieu à Moïse.
Vous avez remarqué que j’ai choisi en illustration de ma brochure le tableau de
Rembrandt représentant Moïse qui brandit à son peuple les Tables de la Loi. Pour
moi, le judaïsme est fondamental, c’est en lui que prend corps notre religion
chrétienne. Il lui donne une véracité accomplie.

Sur le « volontarisme kantien », je suis pour. Merci d’en faire état.
 

Conclusion : Cher M. l’Abbé, je tenais à vous apporter ces quelques
éclaircissements, sur toutes ces questions éthiques, dont j’ai commencé l’étude dès
les années 80. Cette conférence est donc une synthèse des conclusions auxquelles je
suis arrivé — sachant que toujours la Vérité se dérobe, et qu’elle ne trouve jamais son
pur accomplissement que dans le repos de Dieu. Je recherche un tel repos, qu’à la
suite de Maurice Blanchot j’appelle désœuvrement. Merci de vous être intéressé à ma
modeste contribution.

Jacques-Émile Miriel
25 nov. 2026