Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

20/01/2020

La rentrée littéraire

   Cette rentrée littéraire de janvier a indiscutablement été marquée par le livre-témoignage de Vanessa Springora (Le Consentement, éd. Grasset, 18 €). Elle y décrit sa relation délétère avec l'écrivain Gabriel Matzneff, quand elle avait quatorze ans. Le portrait qu'elle trace de ce pédophile notoire est implacable. C'est la première fois qu'une "jeune proie" de Gabriel Matzneff, devenue adulte, prend la parole, celle-ci ayant été jusque là réservée à l'écrivain lui-même, qui se complaisait à donner uniquement sa version arrangée des faits. Autant dire que, par cette seule donnée, le livre de Vanessa Springora est un document extraordinaire. Enfin la victime peut exprimer son point de vue, à défaut de porter plainte devant la justice. Et elle le fait avec assez de recul et de maturité pour donner à réfléchir aux lecteurs de Gabriel Matzneff, d'ailleurs rares, qui faisaient leurs délices d'une prose, certes raffinée, compassée, très littéraire (Matzneff était écrivain jusqu'au bout des ongles), mais sans souci éthique. Contrairement à ce qu'il a voulu parfois donner comme impression, l'auteur des Moins de seize ans n'était pas un "sage" à la manière antique, mais un sombre libertin, souvent criminel, qui n'aura eu toujours qu'une seule idée en tête : jouir sans entraves (comme on disait pendant Mai 68) et s'en glorifier follement à travers ses livres. Le récit de Vanessa Springora est riche de notations précises sur l'ogre qui a traversé sa vie et exercé son emprise sur elle ; celle-ci, par exemple : "Ce qu'il aime, c'est l'âge de la puberté, celui auquel il est sans doute resté bloqué lui-même. Il a beau être redoutablement intelligent, son psychisme est celui d'un adolescent..." 

   P.-S. Voici les ouvrages qui attendent sur ma table de travail le moment où je m'occuperai d'eux : 

- Jacques Rigaut, le suicidé magnifique, de Jean-Luc Bitton. Préface d'Annie Le Brun. Éd. Gallimard, 35 €. Une somme de quelque sept cents pages sur un personnage passionnant mais tragique, qui a été le modèle du Feu follet de Drieu la Rochelle.

Le Siècle des révolutions. 1660-1789, d'Edmond Dziembowski. Éd. Perrin, 27 €. Une promenade historique à travers les révolutions (anglaise, américaine et française) qui ouvrirent une ère nouvelle.

Saint-Just. L'archange de la Révolution, d'Antoine Boulaud. Éd. Passés/Composés, 22 €.

   Et puis, pour conclure, une relecture magnifique : Les Deux sources de la morale et de la religion, de Bergson. Édition critique dirigée par Frédéric Worms. Éd. PUF, collection "Quadrige", 15 €. En pleine affaire Matzneff, cette relecture tombe bien, afin de ne plus prétendre que la morale ne sert à rien. Bergson est plus qu'un philosophe, c'est aussi un splendide écrivain. Sa prose se déguste, et enrichit spirituellement le lecteur, le tire vers le haut. On se sent meilleur, après une page ou deux de Bergson.