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02/01/2014

Le Loup de Wall Street (Martin Scorsese)

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   Le réalisateur américain Martin Scorsese vit un peu sur une réputation acquise il y a belle lurette. En général, ses nouveaux films nous déçoivent. C'est le cas pour Le Loup de Wall Street, et pourtant il y a certes des choses à sauver dans ce naufrage d'ailleurs typique de notre époque. D'abord une mise en scène parfaitement inventive. Ensuite une direction d'acteurs vraiment remarquable. Mais tout ceci pour aller où ? L'idée de faire une peinture réaliste de Wall Street est certes une bonne idée. Pouvait-on pour autant se contenter d'entasser les uns après les autres des épisodes répétitifs, comme si les scénaristes avaient été cruellement en manque d'inspiration ? Le caractère élaboré à travers le personnage de DiCaprio est néanmoins très intéressant. Il a existé dans la réalité et s'appelait Jordan Belfort. DiCaprio lui donne une dimension presque shakespearienne, en le conduisant de la splendeur à la chute. Ce courtier milliardaire, qui a édifié sa fortune en escroquant de pauvres gens, est représentatif de toute une petite catégorie de profiteurs cyniques, qui ont pullulé durant les années 90, et profité à mort d'un système économique complètement dévoyé dont l'Amérique fut l'expression première. La fête extrême grâce à l'argent facile ne dura cependant, pour Jordan Belfort, qu'un temps. La luxure et la malhonnêteté s'arrêtèrent net. Le film de Scorsese n'insiste pourtant, et lourdement encore, que sur cette première phase de magnificence infâme, à tel point qu'il donne l'impression de s'y vautrer. Telle est la limite de ce film sans véritable morale, et même pire : sans véritable réflexion sur ce qu'il raconte.

   Pourtant, Scorsese nous avait habitués à mieux. Casino (1995), par exemple, qui parlait aussi d'argent, était autrement plus intelligent, tellement mieux construit. Sans parler de Raging Bull, en 1980, un chef-d'œuvre à part entière, artistiquement confectionné, et qui se terminait par une citation de l'Evangile de saint Jean : "J'étais aveugle et maintenant je vois." Depuis lors, Scorsese, comme happé par le cinéma commercial, a bien oublié cette aspiration à la lumière. Veut-il complaire au public ? Aux producteurs ? Aux journalistes ? Quoi qu'il en soit, le voilà désormais éloigné de toute cette belle exigence qui fut la sienne jadis. Passant de Robert De Niro à Leonardo DiCaprio, il a rejoint la foule qui danse autour du Veau d'or. Il est en cela la manifestation la plus exacte d'une évolution présentée comme inévitable, mais que cependant beaucoup de nos contemporains, qui gardent la tête froide, condamnent tant et plus — lorsqu'on leur laisse le droit à la parole !

   Récemment, le pape François a réaffirmé dans un document officiel sa critique du système économique libéral actuel, qui en effet permet toujours, de manière de plus en plus perfectionnée, à de vils voyous de s'enrichir sur le dos des plus pauvres. Il s'est vu qualifié de "marxiste", comme si ce mot demeurait une injure définitive. Il était seulement fidèle à la doctrine sociale de l'Eglise, qui s'inspire de ce qui est écrit dans les Evangiles. Mais, pour rester dans notre domaine, contentons-nous de relire ce que Bernanos mettait dans la bouche d'un de ses personnages, le curé de Torcy, dans un passage du Journal d'un curé de campagne : "Cette idée si simple que le travail n'est pas une marchandise, soumise à la loi de l'offre et de la demande, qu'on ne peut pas spéculer sur les salaires, sur la vie des hommes, comme sur le blé, le sucre ou le café, ça bouleversait les consciences, crois-tu ? Pour l'avoir expliqué en chaire, à mes bonshommes, j'ai passé pour un socialiste..."  Tout le roman de Bernanos est d'ailleurs habité par cette dimension de la "pauvreté" comme valeur rédemptrice. Propos qui aujourd'hui encore paraîtrait subversif et choquerait presque toutes les soi-disant "bonnes âmes" corrompues. Mais, au fait, la mission première d'un artiste n'est-elle pas de s'exprimer, quitte à choquer ? Voilà ce qu'on a trop tendance à oublier désormais; voilà ce qu'un Martin Scorsese, jadis plus courageux (cf. La Dernière tentation du Christ), a hélas mis de côté pour toujours, exemple particulièrement décevant. Croyez-moi, le Veau d'or a encore de beaux jours devant lui !

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