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05/09/2025

Ce que j'ai voulu dire...

Parution sous pseudonyme de mon roman Les Inféconds sur le site Amazon

 

En 2021, j’ai écrit un roman intitulé Les Inféconds, clin d’œil à cette Académie romaine qui avait invité Casanova à venir y prononcer un discours. J’y racontais l’histoire de deux cousins amoureux de la même jeune fille. Sur ce canevas traditionnel sans intérêt, j’avais cherché à approfondir ma conception ironique de l’existence, en décrivant une réalité peu fiable (différante, aurait dit Jacques Derrida) soudain remplacée par une autre, encore moins fiable — pour ainsi dire comme dans Othello, ce modèle insurpassable de l’équivoque et des vérités successives. En somme, sans le déplorer vraiment, j’imaginais que le fin mot de l’énigme n’apparaîtrait jamais clairement, même si, dans ce roman, la religion jouait un rôle presque apologétique.

 

J’avais bien sûr, lorsque j’en eus terminé la rédaction, envoyé mon manuscrit à quelques éditeurs qui ne le lurent pas, à l’exception de Charles Dantzig, de la maison Grasset, avec laquelle je n’avais d’ailleurs que de bons souvenirs. Il m’adressa quelques lignes, certes de refus, mais qui ne manquaient pas de perspicacité. Voici sa prose d’éditeur-écrivain :

 

Paris, le 4 janvier 2022

Cher Monsieur,

J’ai apprécié dans votre roman l’habile mélange d’humour et de sensualité qui anime certains des passages.

Cependant, je suis au regret de vous annoncer que notre comité de lecture n’a finalement pas retenu votre manuscrit.

Bien cordialement,

Charles Dantzig

 

La lettre est fort courtoise, mais ferme. En si peu de mots, elle ne dit pas de choses foncièrement fausses. Hélas, Dantzig n’avait pas apprécié plus que cela mes efforts pour devenir romancier, peut-être parce qu’il se fait un devoir de rejeter toute approche concrète de la religion catholique. Il a bien vu que l’humour, ou plutôt l’ironie, côtoyait une « sensualité » certaine, et en même temps dérisoire. Cependant il n’a pas senti que la destruction du monde en serait la condition.

 

Les autres éditeurs m’ont fait juste l’honneur de lettres de refus anonymes, sans porter de critiques véritables au sujet de mon travail sur Les Inféconds.

 

Au début du mois de juillet dernier, j’ai eu l’idée de publier mon roman sur Amazon, même si je savais que, sur ce site, il allait être noyé sous des millions d’autres volumes. Peut-être me restait-il encore certains amis, qui auraient été heureux de constater que, dans mon coin, je continuais l’aventure, mais en sourdine ? Il faut être soi-même très infécond et désœuvré, pour écrire quelque chose comme Les Inféconds.

 

J’ai pris un pseudonyme pour montrer que, dans un premier temps, ce n’était pas sérieux. Toute proportion gardée, par exemple, la tragédie d’Othello, dont je parlais en commençant, est-elle sérieuse ? Il y a, je le pense, une mise à distance ironique, chez Shakespeare, qui fait de lui notre contemporain. Le philosophe Vladimir Jankélévitch annonçait à juste titre : « Pour comprendre la fonction de l’ironie, il nous faut comprendre la duplicité de la conscience, en d’autres termes la disjonction qui ne cesse de s’aggraver entre l’esprit et les signes de l’esprit. » (L’Ironie, éd. Champs essais). On s’en aperçoit immédiatement lorsqu’on re-lit une œuvre. Relire Othello, c’est en proposer une mise en scène nouvelle, jamais définitive, jamais fausse ni vraie. Pour saisir l’ironie de mon livre, il aurait fallu le relire une seconde fois ; ou au moins en commencer la lecture par le dénouement final, que j’aurais tout aussi bien pu placer au commencement, comme Godard dans Éloge de l’amour (2001, avec Bruno Putzulu)...

 

Au-delà de certains « caprices » littéraires, qui tiennent à mon tempérament nietzschéen, mon roman Les Inféconds est donc résolument à prendre comme une mise au point sur la modernité. En le publiant aujourd’hui, j’espère avoir montré la nécessité de la littérature, et singulièrement du roman.

 

 

Émie de Rolles, Les Inféconds. Édité sur le site Amazon, juillet 2025. La version définitive est désormais disponible en e-book (0,89 €) ou brochée (7,55 €).

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