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24/04/2022

Retour sur un essai de Mathilde Brézet

 

Un dictionnaire portatif des personnages de Proust

 

 

Le Prix littéraire Cazes-Brasserie Lipp, du nom de la fameuse brasserie située en plein cœur de Saint-Germain-des-Prés à Paris, vient d’être attribué, pour sa 86e édition, ex æquo à Mathilde Brézet et Gautier Battistella. C’est l’occasion de revenir sur la première, auteur d’un abondant et délicieux dictionnaire des personnages de Proust. À la recherche du temps perdu en contient environ 2500, d’importance variable : Mathilde Brézet en a retenu une centaine, pour nous offrir une promenade très agréable dans l’œuvre du romancier, loin des théories peut-être trop alambiquées de certains universitaires.

 

Mathilde Brézet a bien compris que rien n’est plus changeant qu’un personnage de La Recherche, d’un épisode à l’autre, jusqu’à la contradiction même. Le monde proustien n’a rien à voir avec le monde balzacien, par exemple. Mathilde Brézet le souligne : « Faire sentir que ses personnages ne sont pas ceux de Balzac ; faire voir la nouveauté de la construction de leur caractère : parmi d’autres, c’est un souci qui revient constamment dans les éclaircissements que Marcel Proust donne sur son œuvre. »

 

On retrouvera avec plaisir, au fil de ce dictionnaire, les figures familières qui ont frappé chaque lecteur, au cours de sa lecture ou de ses relectures. On croise évidemment Swann, dont Mathilde Brézet propose une analyse très « carrée », en faisant intervenir, par contraste, la vision du « narrateur » (qui lui aussi aura droit à une belle notice). Cela donne : « Swann est un type intelligent qui a fait l’erreur de prendre la vie au sérieux. La réussite du narrateur sera de savoir s’extraire non pas de la confusion entre l’art et la vie, mais de la vie tout court. »

 

L’un de mes volumes préférés du roman a toujours été La Prisonnière, que je relis régulièrement. Il est évoqué à travers le personnage si troublant d’Albertine. Sans insister trop lourdement sur la notion de « claustration », Mathilde Brézet voit cependant la dimension borderline de cet épisode central : « La lecture de La Prisonnière est une plongée dans une très bizarre, très fascinante et très morbide relation. »

 

D’autres protagonistes, que nous aimons, passent sous la loupe grossissante de Mathilde Brézet : le peintre Elstir, l’écrivain Bergotte, la Berma, etc., jusqu’à l’extraordinaire femme de chambre de la baronne Putbus : « un mythe se construit, écrit Mathilde Brézet à propos de ce dernier personnage, par accumulation savante de détails sulfureux, et ce fantôme pur fantasme prend la tête du petit peuple érotique que le narrateur emporte dans sa conscience ».

 

Mathilde Brézet nous propose, en fin de compte, une lecture subjective de La Recherche. Elle s’appuie évidemment quelque peu sur les nombreux travaux scientifiques qui ont été conduits à propos de Proust, mais toujours pour revenir à sa perception personnelle du roman. Elle termine du reste son avant-propos par cette affirmation très significative : « Proust l’a dit une fois pour toutes : tout lecteur est, quand il lit, lecteur de lui-même. » C’est un peu la leçon essentielle de ce Grand Monde de Proust, leçon qui me rappelle le texte important de Roland Barthes intitulé « Écrire la lecture », dans Le Bruissement de la langue.

 

 

Mon souhait serait donc que cette conclusion essentielle du livre de Mathilde Brézet puisse inciter de nombreux lecteurs à se replonger dans Proust, afin de mieux se connaître !

 

Mathilde Brézet, Le Grand Monde de Proust. Éd. Grasset, 26 €.

À signaler, Essais de Marcel Proust, sous la direction d’Antoine Compagnon. Éd. Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 69 €.

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