14/08/2014
Claustration
J'ai eu le curieux projet d'écrire un livre assez bref sur le chanteur Michel Polnareff (photo), dans lequel j'aurais raconté de manière très précise les trois années et demie qu'il a passées enfermé à l'intérieur d'un palace parisien, le Royal Monceau, confiné dans ce lieu clos et hors du monde tel un des Esseintes du show-biz. Cette expérience de claustration volontaire me titillait l'imagination, et je trouvais que la presse, pourtant avide de détails, n'avait pas su nous en dévoiler suffisamment la teneur. J'aurais donc envisagé d'interroger, durant quelques jours, le chanteur en personne (lui seul était en mesure de raconter cette période de son existence) dans sa demeure californienne actuelle, où il continue du reste de mener une vie quasi recluse. Je l'aurais confessé aussi longuement que possible sur cette performance énigmatique, qui me l'a rendu presque plus cher que sa musique. La tâche était compliquée à programmer dans son aspect matériel, car une question surtout se posait à moi : Polnareff aurait-il accepté de me parler ? Qui aurait eu assez de poids auprès de cet artiste réputé discret et réservé, jusqu'à la névrose, pour le convaincre de livrer au public des péripéties si éminemment intimes ? Souvent, à tout hasard, au cours de déjeuners, je parlais de cette idée d'un livre sur Polnareff à des interlocuteurs divers ; en général, l'idée leur semblait amusante ; cependant, je ne suis jamais tombé sur la personne qui m'en aurait facilité la réalisation. Mais peut-être — c'est ce que je crois aujourd'hui — ce projet était-il surtout fait pour rester à l'état de simple ébauche. Le réaliser lui aurait fait perdre une grande part de son charme intrinsèque.
15:42 Publié dans Anecdote | Tags : michel polnareff, livre, claustration, palace parisien, royal monceau, hors du monde, des esseintes, show-biz, vie recluse, californie, performance, névrose, ébauche, projet | Lien permanent | Commentaires (0)
20/06/2014
Art Nouveau
Dans sa conséquente étude, L'Art Nouveau en France (Flammarion, 1994), Deborah Silverman nous explique comment ce qui s'est appelé "Art Nouveau" trouve son origine dans le rococo. Elle convoque au début de son propos les frères Goncourt (photo), grands collectionneurs devant l'éternel. Elle parle de "l'héritage des Goncourt", qui, dans leur maison d'Auteuil, avaient rassemblé des objets, des meubles, des décorations de l'époque Louis XV. L'Art Nouveau, qui s'invente en cette fin de siècle, surgit de ce fonds historique auquel les Goncourt surent donner toute l'importance qu'il méritait. On a souvent l'idée que les dernières années du XIXe sont le summum de la décadence, on pense à Huysmans, auteur du sublime A Rebours, ou encore à des esprits comme Jean Lorrain. La perspective semble un peu faussée, surtout lorsqu'on s'attarde sur d'autres domaines que la littérature, comme l'architecture, les arts décoratifs. Deborah Silverman nous montre au contraire que cet univers ne jaillissait pas de quelque névrose soudaine, mais qu'il s'appuyait sur ce que la France avait pu donner de meilleur, spécialement dans son artisanat. La transparence du rococo a nourri, enrichi l'Art Nouveau, et procuré à ses contemporains la chance d'une vie parfaitement élégante. Je vous conseille d'avoir ceci à l'esprit lorsque vous visiterez, par exemple, le Musée d'Orsay, qui expose dans certaines salles de magnifiques meubles fin XIXe. Vous penserez ainsi, en passant devant, aux livres, non seulement des frères Goncourt, mais aussi certainement de Zola. Vous vous direz : voici le décor de La Curée. Ou bien : son Excellence Eugène Rougon recevait dans ce mobilier. La séduction littéraire de certains romans de ce temps doit beaucoup à ce qu'a su insuffler dans cette vie l'Art Nouveau. J'irai même plus loin. Le phénomène pourrait être fort antérieur. Voilà ce que je me disais récemment en relisant La Chartreuse de Parme de Stendhal. On sent en effet dans ce roman non pas une "parodie" du XVIIIe siècle, mais bien plutôt, déjà, un univers qui s'affirme esthétiquement sur les bases du style rococo, et le dépasse allègrement, joyeusement. Stendhal anticipe l'Art Nouveau, sa délicatesse, sa grâce, son épicurisme charmant. Et si La Chartreuse, finalement, était le manifeste véritable de l'Art Nouveau ? Je le crois sincèrement. Je crois aussi que c'est un style d'art qui ne vieillit pas, qui reste intact. Après le Musée d'Orsay, allez prendre un verre, comme moi, au Café de Flore : l'ambiance si particulière de ce lieu toujours vivant, né au tout début du XXe siècle, aura tôt fait de vous convaincre, vous aussi.
08:06 Publié dans Art | Tags : art nouveau en france, deborah silverman, rococo, frères goncourt, collectionneurs, maison d'auteuil, objets, meubles, fin de siècle, décadence, huysmans, à rebours, jean lorrain, littérature, architecture, névrose, artisanat, élégance, musée d'orsay, zola, la curée, son excellence eugène rougon, roman, la chartreuse de parme, stendhal, parodie, délicatesse, épicurisme, café de flore | Lien permanent | Commentaires (0)