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19/12/2020

Olivier Rey, morituri te salutant !

   

   La récente collection "Tracts" des éditions Gallimard (1) est très ingénieuse. Pour un prix modéré (3,90 €) un auteur propose une réflexion plutôt courte, une cinquantaine de pages, sur un sujet qu'il connaît bien. J'ai par exemple pu apprécier déjà L'Homme désincarné de Sylviane Agacinski, ou encore Sans la liberté du nouvel académicien François Sureau. Je viens de terminer la lecture d'un troisième "tract", L'Idolâtrie de la vie d'Olivier Rey. Cela se veut une méditation au temps du Covid (ou de la Covid, comme vous voulez) : c'est peut-être ce thème même qui a incité Gallimard à retenir cet auteur et ce titre. Car Olivier Rey est-il très connu ? Je n'en ai pas l'impression. Aussi bien, ce n'est apparemment pas le premier critère retenu pour pouvoir figurer dans cette petite collection, et d'ailleurs tant mieux !

 

Nouvelle Droite

   La quatrième de couverture nous indique qu'Olivier Rey est mathématicien et philosophe, qu'il appartient au CNRS et qu'il a publié des romans et des essais. J'ai voulu en savoir un peu plus, notamment en allant voir sur internet ce qu'on en disait. Je n'ai rien trouvé de clair. Pour savoir comment se positionne Olivier Rey en philosophie ou en politique, j'ai dû donc m'en tenir au texte que j'avais sous les yeux, et qui, quand même, laisse transparaître beaucoup de choses intéressantes.

   Les premières pages nous parlent de la Révolution française, elles sont très brillantes et de bon augure pour la suite. Il y a comme cela toute une série de considérations historiques et sociologiques, qui ne manquent pas d'intérêt. C'est une sorte d'introduction à la thèse centrale d'Olivier Rey, et qui tient tout entière dans le titre : L'Idolâtrie de la vie. Il veut en effet, dans cet opuscule, apporter une solution à la question existentielle posée par l'épidémie de Covid. Pour lui, il y a une erreur quelque part, et cette erreur est dans la conception que se fait l'homme de la vie en géneral, et de sa propre vie en particulier. Dans notre société moderne, la vie a été placée sur un piédestal. On lui rend un culte fanatique. Le malaise vient de là, nous avertit Olivier Rey : "Comment la vie, se demande-t-il, en est-elle venue à prendre elle-même la place du sacré ?" Tout est arrivé aujourd'hui à un tel point qu'on fait tout pour dissimuler ce qui a trait à la mort. Ainsi, lorsque surgit une crise sanitaire de très grande importance, la provocation devient insupportable. 

   Au milieu de cette débandade, Olivier Rey nous propose une reprise en main énergique. Il conseille de mettre de côté la "surenchère thérapeuthique", et de "cultiver à nouveau, collectivement, un certain art de souffrir et de mourir". Arrivé à ce point de ma lecture, j'ai mieux compris de quel horizon idéologique Olivier Rey nous parlait. Mais bien sûr ! Son tract comporte force relents de conceptions assez typiques de ce qu'on appelle la Nouvelle Droite, le mouvement d'Alain de Benoist. Je connais suffisamment cette pensée pour détecter tout de suite ses différentes caractéristiques dans le texte d'Olivier Rey, à commencer par cet appel à la dignité, c'est-à-dire au suicide, voire à l'euthanasie. Il y a une incroyable naïveté dans l'arsenal idéologique de la Nouvelle Droite – seul Alain de Benoist en réchappait parfois, mais rarement ses adeptes.

 

La référence à TolstoÏ

   Pour illustrer son propos, Olivier Rey se lance dans une évocation de La Mort d'Ivan Ilitch de Tolstoï. Il en fait, selon moi (j'ai relu pour l'occasion cette longue nouvelle), une interprétation très tendancieuse. Il admet certes que le personnage principal de Tolstoï a une peur effroyable de mourir. Mais il lui oppose le personnage du moujik Guérassime, avançant que ce dernier a une vision des choses beaucoup plus sage et dénuée de toute aliénation : "Guérassime, observe Olivier Rey, appartient encore à un ordre dont la mort fait partie..." Je crois tout simplement que le personnage de Guérassime est jeune, bien portant, d'un bon naturel, et que le moment d'envisager sa mort comme une réalité imminente n'est pas encore arrivé pour lui. Olivier Rey voudrait faire de Guérassime le vrai héros de Tolstoï ! Ce faisant, il contourne superbement la difficulté !

   Tolstoï, en réalité, nous parle d'Ivan Ilitch et de son agonie terrible. Comment celui-ci aurait-il pu être à la hauteur de sa maladie, alors que rien ne l'y préparait jusque là ? Pas en se suicidant, en tout cas – du moins pas tout de suite. À sa façon, Ivan Ilitch lutte tout seul contre la maladie, abandonné des autres, et même de sa famille. Il est, dans son coin, le dépositaire incontestable d'une part de vérité humaine : il fait son examen de conscience, a la révélation de sa vie ratée, et rencontre peut-être Dieu à l'extrême limite de sa mort. Voilà ce que nous dit la nouvelle de Tolstoï.

 

La valeur suprême de la vie

   J'ai lu sur internet qu'Olivier Rey était, depuis son enfance, un lecteur des grands textes, et notamment de la Bible. Je m'étonne donc qu'il en vienne à défendre une thèse si manifestement hostile à la vie, et si étrangère à toute notre tradition humaniste. Prenons par exemple un extrait du prologue de saint Jean. Que lisons-nous ? "Au commencement était le Verbe... En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes." La primauté suprême est donnée ici à la vie. Alors oui, l'homme ne fera jamais en vain des efforts pour faire reculer les frontières de la mort. La pensée d'Olivier Rey, en parlant à rebours de cette vérité qui s'impose à tout être humain normal, exprime une sorte de nihilisme dandy, assez pittoresque, mais sans valeur. Lorsque Olivier Rey sera lui-même plus âgé, et peut-être confronté à la maladie, il est probable qu'il regrette ses paroles et qu'il se convertisse enfin au progrès, notamment celui de la médecine. Mieux vaut tard que jamais !

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(1) Cette collection s'inspire des "Tracts de la NRF" dans les années 30, où des auteurs prestigieux de l'époque avaient été réunis.

 

Olivier Rey, L'Idolâtrie de la vie. Éd. Gallimard, collection "Tracts" n° 15, juin 2020.  3,90 €.