09/12/2013
Nicolas Poussin
C'est en m'intéressant à Poussin que j'ai commencé à comprendre ce qu'était la peinture. Je m'étais d'abord plongé dans un livre d'Alain Mérot, puis, chaque fois que je passais près du Louvre, j'allais contempler maints chefs-d'œuvre, dans des salles d'ailleurs peu fréquentées par les touristes. Une lumière romaine m'envahissait, une sérénité classique, universelle. Poussin, il l'écrit dans sa correspondance, désirait qu'on "lise" ses tableaux, qui sont pour beaucoup d'entre eux des leçons de philosophie. Mais tous les grands peintres ne pourraient-ils pas dire la même chose, jusqu'à Degas, jusqu'à Rothko ?
Plutarque, retraçant la vie du stratège grec Phocion, insiste sur son caractère "trop magnanime et généreux", cause de sa perte. Les Athéniens, qu'il avait si souvent menés à la victoire, le condamnent, pour des motifs controuvés, à boire la ciguë (qu'il paiera lui-même à l'exécuteur). A l'énoncé de la sentence, nous dit Plutarque, Phocion ne bronche pas : "l'on admire, en le voyant, son indifférence et sa grandeur d'âme". Dans les deux superbes tableaux qu'il consacra à cet épisode, Funérailles de Phocion et Les cendres de Phocion recueillies par sa veuve, Poussin ne représente que le calme après la tempête, le moment où tout est consommé et Phocion mort : dans un immense paysage, les deux scènes concernant le héros grec sont noyées dans l'anonymat d'une indifférence frappante. Le grand général, qui traitait autrefois d'égal à égal avec Alexandre, à cette heure victime de l'absurdité du destin, et dont le cadavre même vient d'être banni de la cité, n'est plus représenté que par une minuscule tache de couleur, pour le premier tableau, et un tout petit tas de poussière calcinée, presque invisible, pour le second. Ces compositions de Poussin sont à la lettre comme figées dans l'éternité, c'est-à-dire évidées de toute histoire trop apparente, de tout fait tangible se rapportant aux événements politiques. On sent là un silence qui nous en dit long sur la vanité des affaires humaines, — leçon de stoïcisme qu'on sait avoir été chère à Poussin, contemporain des troubles de la Fronde.
17:44 Publié dans Peinture | Tags : nicolas poussin, louvre, plutarque, phocion, ciguë, absurdité du destin, stoïcisme, alain mérot, la fronde | Lien permanent | Commentaires (0)