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28/02/2019

L'affectivité au risque de la sincérité

   Dans son essai sur Yukio Mishima (Mishima ou La vision du vide, éd. Gallimard, 1981), Marguerite Yourcenar avait beaucoup insisté sur la cérémonie du seppuku traditionnel, par lequel l'écrivain s'était suicidé de manière si spectaculaire. Elle relativisait un peu trop, par ailleurs, la valeur de l'œuvre romanesque, comme mise sous le boisseau. Depuis lors, il a fallu réévaluer ce jugement critique. Les livres de Mishima étaient ceux d'un très grand auteur japonais : ils avaient au début pâti de l'impact médiatique de son suicide, mais trouvaient avec le temps leur véritable place dans la littérature universelle. 

   Les romans de Mishima ont été traduits assez tôt, par les éditions Gallimard, non du reste directement du japonais, mais de leur version anglaise. L'éditeur semble aujourd'hui vouloir réparer cette anomalie, en proposant une "nouvelle traduction" de Confessions d'un masque, c'est-à-dire une traduction du texte japonais. Là aussi, une réévaluation était nécessaire, et on peut se féliciter du geste, qui marque un besoin profond d'authenticité littéraire.

   Confessions d'un masque est le premier roman autobiographique de Mishima. Il y ausculte, avec une rigueur qui n'en efface pas la poésie, sa jeunesse et son adolescence. Mishima s'y décrit très tôt pris dans les affres d'une homosexualité naissante, qu'il ne s'avoue pas vraiment. Il tombe amoureux d'un camarade de classe, puis, plus tard, d'une jeune fille, qu'il n'épousera pas. Ces deux histoires forment la trame romanesque du livre. Mishima n'hésite pas, dans cet effort de sincérité absolue, à tracer un portait ambigu et maladif de lui-même, un malaise permanent qui découle de son obsession sexuelle. Il va plus loin que Stendhal dans Armance en se livrant à "une étude du sadisme et de la perversion". Confessions d'un masque a pour vertu essentielle de froisser le cœur humain (comme disait Nietzsche du même Stendhal), mais en contrepartie de permettre, par ce suprême mouvement, la rédemption de celui qui écrit.

   António Lobo Antunes, dans le roman qui vient de paraître et qui s'intitule Jusqu'à ce que les pierres deviennent plus douces que l'eau, semble pour sa part voué à la malédiction de la guerre que son pays, le Portugal, livra en Angola, et à laquelle lui-même participa. Ce qui frappe ici, c'est la forme éclatée de la narration. On songe à Faulkner, à Claude Simon. Les différentes voix des protagonistes se succèdent en des monologues implacables, jusqu'au dénouement tragique annoncé dès les premières pages. Ce livre difficile est un choc littéraire, dont l'écriture immédiate happe le lecteur avec une grande violence expressive. Lobo Antunes va bientôt entrer dans la Pléiade. Ce sera l'occasion peut-être de le relire, lui qui a su si bien exprimer le gouffre intrinsèque de notre monde contemporain.

Yukio Mishima, Confessions d'un masque. Traduit du japonais par Dominique Palmé. Éd. Gallimard, 20 €. António Lobo Antunes, Jusqu'à ce que les pierres deviennent plus douces que l'eau. Traduit du portugais par Dominique Nédellec. Éd. Christian Bourgois, 23 €.