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18/06/2015

Exposition Giacometti à Landerneau

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  Le Fonds Hélène&Édouard Leclerc de Landerneau accueille depuis le 14 juin une très intéressante exposition consacrée à Alberto Giacometti. Les œuvres proposées viennent de la Fondation Giacometti, et elles ont été installées de manière à être le plus possible en adéquation avec le très bel espace de l'ancien couvent des Capucins, restauré il y a quelques années pour devenir un lieu entièrement dévolu à l'art. Autant dire que se promener parmi les sculptures et les peintures de Giacometti, comme je l'ai fait hier, dans cette sorte de grande église toute neuve, est un moment magique que vous n'oublierez pas. J'ai juste regretté peut-être qu'il n'y ait pas davantage d'œuvres, notamment de sculptures, mais je crois que ce minimalisme était voulu par les organisateurs.

   L'exposition montre de manière chronologique l'évolution artistique de Giacometti. Il a d'abord, comme on sait, été influencé par le surréalisme, pour réussir ensuite, à force de travail et d'efforts, à se dégager de toute emprise. Comme tout vrai et authentique artiste, il voulait exprimer son regard, et seulement son regard. C'est pourquoi, inlassablement, il faisait poser ses modèles des heures durant, dans le froid de son atelier, et n'était jamais content, évidemment, du résultat.

   Ce qu'on appelle les "peintures noires", et qui se trouvent dans la salle n° 9 de l'exposition, m'ont à nouveau beaucoup frappé. Je les ai contemplées longuement (déplorant du reste qu'on n'ait pas installé à cet endroit de banquette pour s'asseoir). Datant des années 1950 à 1960, ces œuvres dérangeantes ont ouvert une nouvelle voie, qui a, selon moi, marqué beaucoup de peintres non figuratifs. L'abstraction perce, dans ces visages monochromes, qui hurlent à nos oreilles je ne sais quelle prière de détresse.

   C'est d'ailleurs Genet qui nous le rappelait, dans son Atelier d'Alberto Giacometti : "L'art de Giacometti me semble vouloir découvrir cette blessure secrète de tout être et même de toute chose, afin qu'elle les illumine." Car, malgré les apparences, il s'agit bel et bien d'un art à la recherche de la lumière, et voilà l'impression dominante qu'on a, du moins que j'ai eue, après cette somptueuse visite dans le couvent des Capucins.

Exposition Giacometti. Fonds Hélène&Édouard Leclerc. Aux Capucins, 29800 Landerneau. Tél. : 02 29 62 47 78.  Du 14 juin au 25 octobre 2015.

Jean Genet, L'Atelier d'Alberto Giacometti. Éd. Gallimard (L'Arbalète), 2007.

06/01/2014

L'ennui

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   Le philosophe Martin Heidegger est en ce moment au centre de l'actualité intellectuelle. La publication en France d'une traduction des Beiträge est un événement considérable. Cette traduction française a créé la polémique. Il lui est reproché de rendre illisible un texte pourtant plus accessible en langue originale. L'éditeur de Heidegger en France, Gallimard, jouit de fait d'un monopole éditorial sur l'œuvre du penseur allemand. Ce n'est certes pas une bonne chose. Je reviendrai sans doute sur ces Beiträge, une fois que j'en aurai pris connaissance. On annonce par ailleurs la publication de Cahiers noirs, qui démontreraient notamment l'antisémitisme de Heidegger. Je crois qu'il faut attendre d'avoir ce texte sous les yeux, qui sortira seulement au mois d'avril en Allemagne, pour émettre un jugement censé. Tout ceci aura le mérite de faire évoluer l'image d'un philosophe essentiel, mais souvent au cœur de polémiques complexes. Son importance, néanmoins, ne saurait être remise en question. Ainsi pour l'analyse de l'ennui.

    Heidegger nous dit que l'ennui intervient lorsque le monde se refuse à l'homme. C'est le stade de l'ennui où "l'état d'être laissé vide est l'état, pour le Dasein, d'être livré à l'étant qui se refuse en entier." (Les Concepts fondamentaux de la métaphysique) Notre relation au monde et à nous-même est alors anéantie; nous n'avons plus prise sur rien. Nous tournons en rond. Le jeune homme falot et terne, antihéros désœuvré, tel que Flaubert l'a peint dans L'Education sentimentale, est la meilleure illustration, selon moi, de cette impression très contemporaine "d'être traîné en longueur... d'être laissé vide". Comme pour l'angoisse, Heidegger voit cependant dans l'ennui "l'émergence de possibilités que le Dasein pourrait avoir mais qui restent en friche". Mais alors, quand donc ces fameuses "possibilités" auront-elles lieu ? Notre temps n'est-il pas marqué plutôt par un accroissement continu de l'ennui ? Bien loin de nous permettre d'accomplir des réalisations satisfaisantes, ce temps n'est-il pas surtout destiné à nous faire sombrer dans une détresse de plus en plus irréversible ? Néanmoins, Heidegger, dans cette analyse à mes yeux évidemment cruciale, discerne et décrit très bien ce moment de paralysie occasionné par l'ennui. A nous peut-être, désormais, de le prendre comme un état définitif propre au désœuvrement, et d'en tirer les conséquences qui s'imposent...