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06/05/2021

Jean-Luc Marion, philosophe de la religion

   

   La philosophie de la religion est une discipline de moins en moins fréquentée par les spécialistes, alors qu'en France même, avant-guerre, elle avait été le terreau de fameuses controverses. Aujourd'hui, seul un Jean-Luc Marion tente d'en faire perdurer l'éclat, avec une constance qui force l'intérêt. Il vient de publier un gros livre sous le titre D'ailleurs, la Révélation, où il s'attaque à une question centrale de la théologie chrétienne. Expliquer les tenants et aboutissants de la Révélation le conduit à un voyage dans les textes, où Marion analyse le plus rigoureusement possible ce concept insaisissable, complexe, mystérieux. 

   On connaît la méthode de notre philosophe, qui s'appuie sur une "phénoménologie de la donation", en utilisant une herméneutique empruntée à Husserl et à Heidegger. Je dois dire que, dans cet ouvrage, toutes les analyses ne m'ont pas parlé. Le recours à saint Thomas d'Aquin, par exemple, me laisse toujours un peu froid. En revanche, que de merveilles dans certaines exégèses de l'Évangile, notamment ce commentaire central de l'épisode de la Samaritaine, dans saint Jean : "le récit de la rencontre entre une femme de Samarie et le Christ, écrit Marion, [...] fixe le paradigme de l'objectif inconnu et du don ignoré en un dialogue dont les moments s'articulent en toute rigueur". Marion se tourne également vers saint Augustin, et, là, je suis également preneur.

   En somme, pour résumer trop rapidement le propos de Jean-Luc Marion, Dieu se révèle aux hommes pour "prendre rang dans notre rationalité". C'est le déploiement d'un amour infini, qui "se manifeste dans le (corps) fini de la chair de Jésus". Pour Marion, l'amour est une porte d'entrée évidemment essentielle. On est d'ailleurs ici en pays de connaissance, pour ceux qui ont lu d'autres livres de Marion, comme son classique, réédité en 2018 aux éditions Grasset, Prolégomènes à la charité

   Il faut ajouter que l'œuvre de Jean-Luc Marion n'est pas lue simplement pas des croyants ; ses découvertes conceptuelles traversent tous les champs du savoir, et sont utilisées volontiers par différents chercheurs. Je sais ainsi que des théoriciens du cinéma s'enrichissent de son travail, pour nourrir leurs analyses.

   D'ailleurs, la Révélation apportera beaucoup à ses éventuels lecteurs, selon moi. Dans tout le bruit ambiant de la modernité, cette méditation philosophico-religieuse sera une occasion unique de ressourcement spirituel. L'homme contemporain est à la recherche de lumière. Il en trouvera le chemin dans cet essai, qui est à la fois une plongée dans la tradition la plus haute, et, corrélativement, un état des lieux de notre condition présente. Cela se mérite, mais vos efforts seront récompensés.

 

Jean-Luc Marion, D'ailleurs, la Révélation. Éd. Grasset, 29 €.

15/01/2014

Le fragment(aire)

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   Toute pensée procède par fragmentation répétée, même celle qui aurait l'apparence d'un tout unifié. Aussi, le fragmentaire déclaré est-il, dans sa franchise inhabituelle, une forme à la fois chancelante et persuasive d'expression, qui dérange parfois les idées reçues. Forme discontinue, il manifeste par contraste le profond désarroi que l'homme ressent devant l'infini du monde. Souvent, on perd le fil de sa pensée, notait Pascal, on ne sait plus ce qu'on voulait dire. Les paroles incohérentes ont d'ailleurs ceci de supérieur qu'elles nécessitent un temps de réflexion, une petite pause pour se rasséréner et continuer le dialogue. Tout fragmentaire est un désœuvrement dans la pensée, agit comme une interruption, une suspension du jugement (l'épochè de Husserl), sans être pour autant déjà une hypothétique sagesse. La maxime, forme brève d'aphorisme, souvent lassante par son côté trop systématique, voudrait conclure. Gageure artificielle. En revanche, la nature du fragment est de rester éternellement ouvert, malgré une incessante circularité sur soi-même. Il demande avant tout une discipline d'esprit difficile — voire impossible — à acquérir, tel est son mystère afin cependant d'accueillir l'inconnu sans le retenir. Désœuvrement optatif, semblable à la vie silencieuse d'une petite île vers le large, sur un bout d'archipel perdu.