22/02/2022
Une nouvelle adaptation de Maigret au cinéma
Maigret par Depardieu
En cette année 2022, le cinéma rend hommage à Georges Simenon. Deux films tirés de ses œuvres sont programmés, avec, pour tous les deux, dans les rôles principaux, Gérard Depardieu. D’abord Maigret, de Patrice Leconte, qui sort ce mercredi, adapté de Maigret et la jeune morte. Puis, prévu en octobre, Les Volets verts, de Jean Becker, d’après un « roman dur » qui narre la fin de parcours tragique d’un grand acteur parisien. L’occasion pour l’imposant Depardieu d’incarner, dans les deux cas, des personnages vieillissants, dans leur déclin, peut-être proches de lui.
J’ai vu seulement en avant-première le Maigret, après avoir relu le roman dont il est tiré. C’est sans doute l’un des meilleurs de la série. Une jeune fille est retrouvée morte dans une rue de Paris. Elle n’a aucun papier d’identité sur elle, et l’enquête part donc de zéro. Maigret va se prendre de passion pour cette affaire. Il se fixe sur la personnalité de la morte, qu’il essaie de reconstituer bribe par bribe. C’est sa technique pour arriver à l’assassin. « Car, jusqu’ici, écrit Simenon dans le cours du roman, ce n’était pas à l’assassin qu’il avait pensé, mais à la victime, c’était sur elle seule que l’enquête avait porté. Maintenant enfin qu’on la connaissait un peu mieux, il allait être possible de se demander qui l’avait tuée. » Le film également insiste beaucoup sur cette sorte de fascination de Maigret pour les jeunes filles perdues, livrées à elles-mêmes dans une ville dangereuse. Elles sont fragiles, trop faibles, et c’est pour cela que le commissaire, sentant naître en lui une fibre paternelle, voudrait les protéger. La jeune morte, chez Leconte, est orpheline, et aurait pu être l’enfant que Maigret n’a pas eu.
En même temps, Leconte et Depardieu proposent une synthèse du personnage de Maigret. Ils récapitulent tout ce qu’on sait de lui, son génie pour percer à jour les caractères les plus pervers, pour comprendre ce qui s’est réellement passé lors d’un crime et qui n’est évidemment jamais très beau. Maigret évolue, c’est son métier, dans un univers de passions humaines très noires, souvent sordides. En n’hésitant pas à s’y plonger, à s’en imprégner, il parvient à les révéler au grand jour. Il suffit qu’il apparaisse quelque part, masse grise et animale, qu’il pose deux ou trois questions dont il a l’art, et les situations les plus mystérieuses se dénouent peu à peu. Maigret n’est pas pressé. À un moment, dans le film (qui souligne cette dimension « zen »), il confie même à sa femme : « J’évite de penser. »
Maigret est un film qui repose avant tout sur les épaules de Depardieu, comme si l’acteur avait réussi une parfaite et complète osmose avec son personnage. La caméra ne le quitte jamais, même si, pour lui donner la réplique, des comédiens remarquables, comme Hervé Pierre ou Aurore Clément, ont été convoqués. Il y a aussi André Wilms, dont ce fut le dernier rôle, pour une prestation étonnante et énigmatique. Pour le personnage qu’il joue, le temps s’est arrêté. Il est demeuré dans le passé, et sa folie douce ne le quitte plus. Il ressemble un peu à Maigret.
Le roman de Simenon, ai-je trouvé, avait un côté « modianesque » avant la lettre. Le film de Leconte a gommé cet aspect ; il est cependant bel et bien le constat brutal de la fin d’un monde, qui ne reviendra pas. C’est de manière très claire une méditation sur un certain cinéma français, dont la disparition est de plus en plus effective.
Je ne doute pas, pour l’avoir, elle aussi, relue, et avec plaisir, que l’histoire racontée dans Les Volets verts sera tout autant, pour Depardieu, l’occasion d’une épreuve de vérité. Ma hâte est grande de voir ce monstre sacré se coltiner le personnage de Maugin, comédien fascinant en fin de règne, alcoolique, prisonnier de toutes ses contradictions, dans l’univers sans pitié du spectacle.
Ces deux films, et ces deux romans, apportent la preuve qu’aujourd’hui Georges Simenon a encore bien des choses à nous dire. On a fini par le prendre au sérieux, il est même entré dans la Pléiade. Avec ses livres simples, concis, mais porteurs d’une humanité profonde, il est un romancier qui sait particulièrement toucher le cœur du lecteur contemporain, las des scénarios démesurés et sans âme.
Georges Simenon, Maigret et la jeune morte, 1954. ‒ Du même, Les Volets verts, 1954. Disponibles au Livre de Poche.
Maigret, film de Patrice Leconte avec Gérard Depardieu, en salle le 23 février. ‒ Les Volets verts, film de Jean Becker, scénario de Jean-Loup Dabadie, avec Gérard Depardieu, sortie prévue en octobre 2022.
06:29 Publié dans Film | Tags : simenon, gérard depardieu, maigret, les volets verts, patrice leconte, jean becker, zen, hervé pierre, aurore clément, spectacle | Lien permanent | Commentaires (0)
06/09/2015
Louis XIV, roi-spectacle
En ce mois de septembre 2015, nous fêtons précisément le 300e anniversaire de la mort de Louis XIV. Parmi toute une floraison de livres, sortis pour marquer l'événement, celui de Joël Cornette, La Mort de Louis XIV, "Apogée et crépuscule de la royauté", publié dans la très remarquable collection "Les journées qui ont fait la France", m'a fait passer d'intéressants moments. C'est en effet une très belle synthèse qui passe en revue, à partir des derniers moments du Roi-Soleil, tout le fil de son si long règne, avec une objectivité qui ne dissimule aucune part d'ombre de la monarchie absolue. Le grand mérite de Joël Cornette est par ailleurs de faire souvent référence aux témoignages "littéraires" de l'époque, en premier lieu celui de Saint-Simon, témoin oculaire. Dans une page étonnante de ses Mémoires, le duc-mémorialiste, faisant le bilan d'un règne qu'il n'a pas vraiment aimé, écrivait ainsi : "Louis XIV ne fut regretté que de ses valets intérieurs, de peu d'autres gens... Paris, las d'une dépendance qui avait tout assujetti, respira dans la joie de voir finir l'autorité de tant de gens qui en abusaient. Etc., etc." Louis XIV, en prenant le pouvoir, avait institué une monarchie "absolue" autant que "spectaculaire", où tout était réglé comme sur un vaste théâtre. Le spectacle offert au royaume cachait mal cependant "la crise profonde de l'absolutisme", qui apparut d'emblée, résultat manifeste de la pression fiscale et d'une faillite financière liée aux guerres permanentes. "La monarchie, comme l'explique Joël Cornette, s'était progressivement coupée du pays". La révocation de l'édit de Nantes n'en fut sans doute pas la conséquence la moins violente. L'État qui est alors mis en place, grâce en particulier au ministre Colbert, est excessivement centralisé et repose entièrement sur une bureaucratie anonyme où les statistiques font leur apparition. Ce régime est l'ancêtre très exact du système actuel. "L'État demeure..." pouvait déjà dire Louis XIV dans son testament. Ce testament fut certes cassé devant le Parlement quelques jours après sa mort ; mais force est de constater néanmoins que rien n'a été fait depuis lors pour substituer à une politique de crise une gestion plus humaine de l'État, malgré les projets de réforme qui, dès cette époque, circulèrent un peu partout. Le spectacle de la monarchie, si justement dénoncé par un Saint-Simon, un Fénelon, se perpétua dans l'histoire. Nous en vivons aujourd'hui, à la dimension planétaire, les derniers soubresauts.
Joël Cornette, La Mort de Louis XIV. Apogée et crépuscule de la royauté. Éd. Gallimard, coll. "Les journées qui ont fait la France", 21 €.
11:13 Publié dans Histoire | Tags : louis xiv, la mort de louis xiv, joël cornette, les journées qui ont fait la france, roi-soleil, saint-simon, fénelon, monarchie absolue, spectacle, spectaculaire, crise de l'absolutisme, révocation de l'édit de nantes, crise planétaire, histoire | Lien permanent | Commentaires (1)