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27/01/2014

Le métier de vivre

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   C'est un métier que les écrivains seuls exercent à plein temps, dans la mesure où ils trouvent leur matière principale dans ce qui leur arrive personnellement. Même le hasard s'adresse à eux, alors. Quelle autre profession (est-ce une profession, d'ailleurs ? plutôt un sacerdoce) présenterait une telle adéquation entre ce qui est vécu et ce qui est source d'inspiration et d'écriture ? Le désœuvrement de l'écrivain est donc constitutif de son travail, même chez ceux qui ont à côté un métier pour subsister chichement, survivre, un métier qui, cependant, souvent les entrave, les retarde. Perdre du temps à ne rien faire est, pour écrire, une exigence nécessaire (mais non pas suffisante, certes). Ceci, pour donner de la place au rêve, ou à l'angoisse, à l'ennui, etc. Ressentir vivement cette souffrance ou cette joie n'est jamais en pure perte pour l'art. Typique de cet état d'esprit est, me semble-t-il, la remarque très réaliste de Roland Dubillard (photo) dans ses Carnets en marge : "Moi, chaque matin, je me trouve devant un jour vide. Il va falloir que je le meuble de toutes pièces." Il y a de l'acte gratuit, dans l'écriture. Elle pourrait ne pas avoir lieu. C'est une "lutte" excessivement délicate, risquée, mortelle, au cours de laquelle on s'affronte à la vie considérée comme un mystère à résoudre — ou aussi bien à ne pas résoudre, du reste. D'où par conséquent, sans doute, le fait que le suicide touche autant d'écrivains...

Commentaires

Vous nous dites que l'écriture repose sur bien des paradoxes, comme "le travail de l'écrivain passe par le désoeuvrement". Mais je crois qu'il en est de même pour toute forme d'art, non ? Ce n'est pas réservé à l'écrivain, et il est même préservé, car la pratique de l'écriture ne nécessite, mon dieu, qu'une page et un crayon. Pensez aux abîmes paradoxaux que doivent affronter les metteurs en scène, les cinéastes, les créateurs d'opéra et les maîtres de ballet. Les contraintes de l'écriture, qui d'après vous sont si dangereuses que les suicides sont fréquents (bien moins, pourtant, que chez les agriculteurs !) me paraissent à moi bien légères, au contraire. Mais peut-être est-ce parce que je suis frivole.

Écrit par : Clopine Trouillefou | 28/01/2014

Chère Clopine T, j'aurais dû ajouter ce que disait Maurice Blanchot de l'écriture, ce "risque où tout est risqué, risque essentiel où l'être est en jeu, où le néant se dérobe, où se jouent le droit, le pouvoir de mourir".("L'espace littéraire")JEM

Écrit par : Jacques-Emile Miriel | 28/01/2014

C'est une conception bien sombre et bien effrayante de la littérature. Encore pire que de la considérer comme une tauromachie, comme le faisait Leiris : au moins, dans ce combat-là, si "un oeil sombre vous regarde", comme dans carmen, n'en avez-vous pas pour autant de bonnes chances d'être sauvé. Tandis que votre risque (ou plutôt celui de Blanchot), mesuré à l'aune du suicide, fait de l'écriture un saut mortel. Et si c'était un saut "dans le vide" - quelle cruelle ironie, dans ce cas.

j'ai connu une chorégraphe qui avait appelé son ballet "au fil du rasoir". Cela me faisait sourire un peu méchamment, car elle n'y avait pas mis malice, mais ne s'était pas rendue compte qu'on s'ennuyait un peu, beaucoup, en regardant son oeuvre. Trop de technique, trop de références, un peu trop de complaisance à se regarder danser...

N'avez-vous jamais pensé que la littérature puisse être solaire ? (J'y pense, moi, à chaque fois que je lis Giono). Votre point de vue m'intéresse, même si je ne connais pas vos oeuvres - et je ne sais si je suis assez cultivée pour y aborder.

Écrit par : Clopine Trouillefou | 28/01/2014

J'aime beaucoup Leiris, et le texte superbe qui ouvre "L'Age d'homme" me semble un condensé de ce qu'on pourrait dire pour parler de l'enjeu de la littérature - comme le fait Blanchot, avec cette radicalité qui vous fait peur. Oui, bien sûr, mille fois oui à une littérature solaire (Camus, Claude Simon...), mais ne l'oubliez pas, chère Clopine : "Ni le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face." JEM

Écrit par : Jacques-Emile Miriel | 28/01/2014

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