Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

04/01/2021

Hérédité polonaise

   J'avais retrouvé, dans les papiers de mon père, après sa mort en 2011, quelques rares lettres qu'il avait précieusement conservées, et, parmi elles, cinq qui lui venaient de sa grand-mère paternelle, Magdeleine Miriel, née Frièse (1878-1962). Elle était d'ascendance polonaise. C'est son grand-père paternel qui était polonais. Il vivait dans le Nord-Est du pays, dans la région de Bielsk. Comme beaucoup de Polonais, dans les années 1830, il dut se résoudre à émigrer vers la France, face à une russification particulièrement brutale. Les Frièse, comtes du Saint-Empire romain germanique, étaient une lignée de médecins. Leur nom est probablement d'origine allemande. Magdeleine Frièse épousa Émile Miriel en 1899 à Paris. Pour faire plus ample connaissance avec elle, je vous propose la retranscription d'une de ses lettres adressées à mon père. Elle date, comme les autres qu'a gardées celui-ci, de 1941. Magdeleine Frièse avait quitté le domicile familial de Brest, ville stratégique continuellement bombardée, pour se réfugier à Nantes. Son époux ("papé") était en revanche resté à Brest, retenu par des tâches administratives. Mon père, Henri, et son frère, Hervé, âgés respectivement de douze et onze ans, étaient alors en pension chez les jésuites à Vannes. C'est dans ce contexte compliqué que Magdeleine leur écrit cette série de lettres, d'une grande fraîcheur littéraire, où son tempérament aristocratique se révèle, selon moi, en filigrane. Dans la famille, Magdeleine était extrêmement appréciée, pour sa gentillesse, son intelligence, son aura naturelle de grande dame. Au physique, elle ressemblait un peu à Apolline de Malherbe, la journaliste de BFM, mais au moral, c'était plutôt Audrey Hedburn. Lorsque je me rends sur sa tombe, à Brest, au cimetière Saint-Martin, je me demande parfois ce que Magdeleine Frièse, "notre" Polonaise, m'aura transmis par atavisme : le goût des lettres, peut-être, et la mélancolie slave, aussi. Mais ceci est assez mystérieux... J'ai sélectionné la lettre suivante : 

 

Messieurs Henri et Hervé Miriel                                                                                                       Collège Saint François Xavier                                                                                                         3, rue Thiers                                                                                                                                    Vannes

30 — 11 — [19]41

   Mon cher Henri, c'est à Hervé que j'ai écrit la dernière fois, je ne lui avais pas encore écrit, c'était son tour, mais je lui avais bien recommandé de te la communiquer. Cette fois vous aurez chacun un petit mot de moi. Je vais bien, mais tante Yvonne a un rhume magistral, j'ai peur qu'elle nous le passe. Yves et Suzette sont à Paris, ils sont allés au baptême de la petite Marie-Claude de Sèvres. Papé m'écrit qu'il y a encore eu plusieurs bombardements sur le fond du port de l'arsenal et quelques bombardements sont tombés sur le quartier neuf de Saint-Martin, qui est tout proche, il y a eu quelques maisons touchées et plusieurs blessés, heureusement pas très gravement. — J'ai reçu aussi de bonnes nouvelles de vos parents, maman est bien remise, ils n'ont pas très chaud et le ravitaillement est bien difficile. Je sors tous les jours et cela me réussit, pourtant il fait assez froid, je trouve que ce climat me réussit mieux que celui de Brest, il est vrai que nous sommes bien plus éloignés de la mer. — J'ai été très peinée d'apprendre par papa que tes notes sont très mauvaises, comment n'as-tu pas le courage de te mettre sérieusement au travail ? à l'âge que tu as maintenant c'est désolant et tu fais tant de peine à ton père, qui a toujours été un si bon élève. D'autre part j'ai bien peur que tu aies à regretter de n'avoir pas mérité d'être récompensé, tu ne pourras t'en prendre qu'à toi-même. Pourtant je prie chaque jour pour toi avec tant d'espoir que tu en sentes le bienfait et que tu réfléchisses à tes devoirs : travail et discipline. Je t'embrasse de tout mon cœur, mon cher petit. Ta mamé qui t'aime tant. M[agdeleine] Miriel.    

09/01/2016

Flaki

E Kelly.jpg

   En 1981, je n'ai pas voté pour François Mitterrand. En politique, méfiant à l'égard des utopies, j'ai toujours été libertaire (influencé par les situationnistes). Je trouvais que la gauche au pouvoir, même entre 1981 et 1983, appliquait trop mollement son programme, qu'elle ne s'éloignait pas d'un réformisme traditionnel jusque là réservé à la droite. À quoi cela servait-il alors d'être de gauche ? L'abolition de la peine de mort par Mitterrand m'a cependant paru une grande date en France. Le reste de son règne m'a déçu. Sur la construction européenne, cet homme réputé de culture humaniste (qui avait reçu la Francisque au printemps 1943 !) n'a rien fait d'autre que suivre le mouvement général, ne remettant jamais en cause la domination économique-marchande qui s'instituait désormais et s'unifiait pour longtemps à l'échelle de tout le continent. Le Traité de Maastricht a véritablement sonné le glas d'une certaine Europe chère à mon cœur. Mais je n'ai jamais eu d'illusions sur la politique et nos politiciens. J'ai appris la mort de Mitterrand alors que je me trouvais en Pologne, je m'en souviens très bien. Ce devait être le 9 ou 10 janvier 1996. Attablé dans un café populaire du centre de la grande ville de Lodz, je dégustais pour me réchauffer une excellente soupe aux tripes, plat national appelé flaki, dont j'ai repris deux fois. Au fond de la salle, un téléviseur diffusait des images sans intérêt, lorsque soudain, aux informations, j'ai vu apparaître la tête de l'ancien président français. Sans évidemment saisir un mot du commentaire en polonais, j'ai compris au bout de quelques instants que Mitterrand venait sans doute de casser sa pipe. Cette nouvelle ne m'a guère bouleversé, et en tout état de cause n'était pas faite pour me couper l'appétit...

Illustration : Ellsworth Kelly

24/07/2014

Lettre de Varsovie

gilles renard.jpg

   C'est du milieu des années 80 que date ma rencontre avec Gilles Renard (photo), dans cette ville de province où je passais alors souvent. Notre amitié allait durer de manière très forte, malgré une séparation géographique quasi constante : Gilles choisit en effet de partir en Pologne, début 1990, afin de suivre les cours de cinéma de la fameuse Ecole de Lodz. Il y étudia, pour son film de fin d'études, sous la direction pédagogique du très grand réalisateur Krzysztof Kieslowski. Gilles devait décider de rester dans ce pays qui l'avait accueilli si chaleureusement — qui était aussi celui de ses ancêtres, les Renard venus d'Allemagne, anoblis par le roi de Pologne au XVIIIe siècle, et qui essaimèrent ensuite dans toute l'Europe, à commencer par la France. Professionnellement, il réalisa divers courts et moyens métrages, et monta quelques pièces de théâtre (Minetti de Thomas Bernhard, au Teatr Polski, ou encore Fin de partie de Beckett). J'ai suivi son parcours avec beaucoup de précision et d'intérêt, car toutes ces années nous n'avons pas cessé de nous écrire, quand je ne venais pas le voir à Varsovie. A parcourir aujourd'hui certaines de ses lettres, je suis épaté par l'exigence artistique qui était la sienne, et dont il ne dérogea jamais, dans ce monde du cinéma qui, même en Pologne, a dégringolé sous l'emprise fatale des marchands de pacotille. Un Français résiste encore à Varsovie, c'est lui, Gilles Renard, et j'en veux pour preuve l'extrait d'un courrier qu'il m'écrivait le 15 février 1997. Comme nous étions encore jeunes alors ; mais ce temps ne reviendra pas !

   "Quand le scénario est accepté, j'écris alors ma vision du film — image par image — que je chronomètre. Généralement, cela fait le double de pages du scénario initial. Pour un autre que moi et mon opérateur, c'est illisible, et ça ne doit surtout pas être montré car ça ferait peur au producteur qui n'y comprendrait rien. Sur ma page : il y a alors la colonne image, la colonne dialogue, la colonne musique et enfin la colonne bruitage. Ensuite, sur le plateau, en ayant reparlé la veille des scènes qu'on allait tourner le lendemain avec l'opérateur, j'arrive avec la version initiale du scénario et bien que j'aie tous les plans que je dois tourner dans la tête et leur durée exacte, là je me laisse aller à saisir l'humeur qu'il y a sur le plateau, je laisse aller l'inspiration.

   "[...] Pour le scénographe (1), il lit la version initiale et un petit rapport sur chaque scène avec tout ce qu'il doit y avoir. Et ensuite, j'attends ses propositions. S'il n'en fait aucune, je le vire, car j'ai remarqué que tout va par paliers dans ce domaine, et que la première conception n'est jamais la bonne : on a trop de clichés dans la tête !"

(1) C'est-à-dire le décorateur.

 Voir un film de Gilles Renard : la chaîne de télévision polonaise TVP Kultura doit diffuser au mois d'août prochain son court métrage de fiction Everything (titre original en polonais : Wszystko, 2007). Vous pouvez regarder également ce film dès à présent sur YouTube en version anglaise. De même, toujours sur YouTube, est également visible, et en version française, le documentaire Malgré tout (Roszada, 2005).

21/11/2013

Histoire tzigane

Koudelka gitans assis.jpg

   Mon ami Gilles, qui habite Varsovie depuis plus de vingt ans, m'a rapporté l'histoire suivante, parfaitement vraie d'après lui, qu'il avait entendu raconter dans un bar par un habitant de son quartier de Mokotow. Chaque matin, lorsque cet homme sortait de chez lui pour se rendre à son travail, il rencontrait au pied de l'immeuble un locataire tzigane assis sur une chaise, qui prenait tranquillement le frais sans se soucier de rien. Rentrant le soir, il saluait à nouveau le Tzigane qui n'avait, semble-t-il, pas bougé de la journée. Ce petit jeu dura assez longtemps, quelques mois peut-être. Un jour cependant, le Polonais, en le croisant comme de coutume, aperçoit le Tzigane en compagnie d'un collègue, tous deux installés sur de gros sacs de voyage, et prêts visiblement pour un départ imminent. "Vous vous en allez ? lui demanda-t-il." Le Tzigane lui fit cette réponse admirable : "Oh, oui ! J'ai eu une année très chargée. Maintenant, j'ai besoin de partir me reposer..." Et en effet, le Tzigane disparut alors, on ne le revit d'ailleurs jamais. L'histoire ne s'arrêtait pas là. Peu après, l'immeuble fut cambriolé, et les soupçons se portèrent évidemment tout de suite sur le Tzigane. Nonobstant, le véritable coupable était un autre résident, qui expliqua aux policiers qu'il n'avait pas osé agir tant que le Tzigane occupait les lieux. Le Tzigane lui faisait peur.