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27/09/2023

Généalogie

 

Pierre Duret (1745-1825), mon ancêtre brestois

 

Dans les dernières années de sa vie, mon père avait fait des recherches généalogiques sur la branche brestoise des Miriel. Il en avait tiré une petite brochure à couverture rouge, sorte d’amalgame de ses découvertes, souvent approximatives à vrai dire. Il n’en demeure pas moins qu’il place, comme point d’origine de la famille Miriel à Brest, un personnage tout à fait intéressant, Pierre Duret, premier chirurgien en chef de la Marine et membre de l’Académie de médecine, dont il relate en une page trop brève la vie hors du commun.

 

Pierre Duret est né près de Saumur en 1745, d’un père cordonnier. Passionné de médecine, il étudie à Paris l’anatomie, l’obstétrique puis la chirurgie. Remarqué par l’inspecteur-général Poissonnier, qui fut chargé par Choiseul de réorganiser le corps de santé de la Marine, Duret est envoyé à Brest. Mon père n’indique pas ce qu’il y fit à cette date, sinon qu’en 1773 il passa un concours pour devenir vice-démonstrateur d’anatomie. Mon père croit pouvoir ajouter que Duret, sans doute parce qu’il venait de Paris, fut l’objet de la malveillance de certains de ses confrères. Il dut effectuer quelques embarquements, malgré un mal de mer chronique. Néanmoins, en 1780, Duret est promu chirurgien ordinaire du nouvel hôpital, et en 1793 deuxième chirurgien-major de la Marine. Mon père note : « Il est désormais libre d’aller de l’avant. » Duret fut un grand médecin, admiré de tous, et surnommé de son vivant « l’Ambroise Paré de la médecine ». Il fit avancer la chirurgie de son temps, grâce à des opérations innovantes et audacieuses. Par exemple, en 1809, il procéda à une ligature de l’artère iliaque. C’était la première fois que cette chirurgie fut tentée avec une suite favorable. Duret prit sa retraite à Brest dans sa vaste propriété de Saint-Marc, où il mourut en 1825. Il est enterré au cimetière Saint-Martin. Je crois qu’il a sa rue, dans le quartier.

 

Duret aurait pris part à la politique sous la période révolutionnaire. Mon père ne précise pas comment, malheureusement. Il écrit seulement que Duret s’enrichit à cette période, en acquérant surtout des biens immobiliers. J’aurais aimé en savoir davantage sur l’attitude de Duret, dans cette période troublée. A-t-il été du bon côté ? Il faudrait qu’un historien fasse un jour des investigations sur cette question. Duret avait un beau caractère, pour ce que nous en savons. Il est peu probable qu’il se soit contenté d’être un simple affairiste, alors que la monarchie vivait ses derniers jours. Qui éclaircira cela ?

 

Les Miriel de Brest descendent de Duret par sa fille, Marie Perrine Adélaïde (1791-1873), qui épousa en 1809 Jean Joseph Yves Louis Miriel, né à Broons en 1779. Brillant chirurgien de la Marine lui aussi, il fut emporté par la typhoïde en 1829. Le couple eut huit enfants, dont cinq survécurent.

 

Sur Pierre Duret, mon père ajoute une anecdote pittoresque. En 1793, une sage-femme des environs de Brest lui apporta un nouveau-né dépourvu d’anus. Duret réussit l’opération, une grande première. Elle est encore appelée, jusqu’à aujourd’hui, « opération de Duret ». L’histoire ne s’arrête pas là. Sous l’Empire, on proposa à Duret le titre de baron. Il refusa, car on l’obligeait à inclure sur son blason l’orifice qui faisait défaut au petit enfant…

 

La figure de cet ancêtre remarquable, qui soignait gratuitement les pauvres, fait naître en moi diverses sensations. La médecine n’est pas mon domaine de prédilection, sauf peut-être la psychiatrie. L’œuvre de Georges Canguilhem, c’est vrai, m’a passionné. Mais il faudrait peut-être revenir à Balzac, qui a écrit, dans sa nouvelle « La messe de l’athée » (1836), un très beau portait de médecin, vivant à la même époque que Pierre Duret. Tout ce que mon père n’a pas eu le loisir de raconter sur Duret, peut-être cela se trouve-t-il sous la plume visionnaire de Balzac, quand il nous dit par exemple de son personnage de chirurgien : « Desplein possédait un divin coup d’œil : il pénétrait le malade et sa maladie par une intuition acquise ou naturelle lui permettant d’embrasser les diagnostics particuliers à l’individu, de déterminer le moment précis, l’heure, la minute à laquelle il fallait opérer, en faisant la part aux circonstances atmosphériques et aux particularités du tempérament. Etc., etc. » Grâce à la recréation balzacienne, je peux rêver à Duret, et reconstituer ma parenté avec lui.

 

Est-ce pour cela que j’apprécie tant les médecins qui me soignent ? Je suis un patient curieux, avide d’explications, et observateur des rites médicaux. Et que le fondateur de la petite dynastie des Miriel brestois, dont je suis issu, soit une grande figure de cette profession, voilà qui me rassure et m’encourage, à l’heure où je prends de l’âge et où ma santé et mes forces déclinent inexorablement. La mort, un court instant, me fait moins peur.

 

 

04/01/2021

Hérédité polonaise

   J'avais retrouvé, dans les papiers de mon père, après sa mort en 2011, quelques rares lettres qu'il avait précieusement conservées, et, parmi elles, cinq qui lui venaient de sa grand-mère paternelle, Magdeleine Miriel, née Frièse (1878-1962). Elle était d'ascendance polonaise. C'est son grand-père paternel qui était polonais. Il vivait dans le Nord-Est du pays, dans la région de Bielsk. Comme beaucoup de Polonais, dans les années 1830, il dut se résoudre à émigrer vers la France, face à une russification particulièrement brutale. Les Frièse, comtes du Saint-Empire romain germanique, étaient une lignée de médecins. Leur nom est probablement d'origine allemande. Magdeleine Frièse épousa Émile Miriel en 1899 à Paris. Pour faire plus ample connaissance avec elle, je vous propose la retranscription d'une de ses lettres adressées à mon père. Elle date, comme les autres qu'a gardées celui-ci, de 1941. Magdeleine Frièse avait quitté le domicile familial de Brest, ville stratégique continuellement bombardée, pour se réfugier à Nantes. Son époux ("papé") était en revanche resté à Brest, retenu par des tâches administratives. Mon père, Henri, et son frère, Hervé, âgés respectivement de douze et onze ans, étaient alors en pension chez les jésuites à Vannes. C'est dans ce contexte compliqué que Magdeleine leur écrit cette série de lettres, d'une grande fraîcheur littéraire, où son tempérament aristocratique se révèle, selon moi, en filigrane. Dans la famille, Magdeleine était extrêmement appréciée, pour sa gentillesse, son intelligence, son aura naturelle de grande dame. Au physique, elle ressemblait un peu à Apolline de Malherbe, la journaliste de BFM, mais au moral, c'était plutôt Audrey Hedburn. Lorsque je me rends sur sa tombe, à Brest, au cimetière Saint-Martin, je me demande parfois ce que Magdeleine Frièse, "notre" Polonaise, m'aura transmis par atavisme : le goût des lettres, peut-être, et la mélancolie slave, aussi. Mais ceci est assez mystérieux... J'ai sélectionné la lettre suivante : 

 

Messieurs Henri et Hervé Miriel                                                                                                       Collège Saint François Xavier                                                                                                         3, rue Thiers                                                                                                                                    Vannes

30 — 11 — [19]41

   Mon cher Henri, c'est à Hervé que j'ai écrit la dernière fois, je ne lui avais pas encore écrit, c'était son tour, mais je lui avais bien recommandé de te la communiquer. Cette fois vous aurez chacun un petit mot de moi. Je vais bien, mais tante Yvonne a un rhume magistral, j'ai peur qu'elle nous le passe. Yves et Suzette sont à Paris, ils sont allés au baptême de la petite Marie-Claude de Sèvres. Papé m'écrit qu'il y a encore eu plusieurs bombardements sur le fond du port de l'arsenal et quelques bombardements sont tombés sur le quartier neuf de Saint-Martin, qui est tout proche, il y a eu quelques maisons touchées et plusieurs blessés, heureusement pas très gravement. — J'ai reçu aussi de bonnes nouvelles de vos parents, maman est bien remise, ils n'ont pas très chaud et le ravitaillement est bien difficile. Je sors tous les jours et cela me réussit, pourtant il fait assez froid, je trouve que ce climat me réussit mieux que celui de Brest, il est vrai que nous sommes bien plus éloignés de la mer. — J'ai été très peinée d'apprendre par papa que tes notes sont très mauvaises, comment n'as-tu pas le courage de te mettre sérieusement au travail ? à l'âge que tu as maintenant c'est désolant et tu fais tant de peine à ton père, qui a toujours été un si bon élève. D'autre part j'ai bien peur que tu aies à regretter de n'avoir pas mérité d'être récompensé, tu ne pourras t'en prendre qu'à toi-même. Pourtant je prie chaque jour pour toi avec tant d'espoir que tu en sentes le bienfait et que tu réfléchisses à tes devoirs : travail et discipline. Je t'embrasse de tout mon cœur, mon cher petit. Ta mamé qui t'aime tant. M[agdeleine] Miriel.    

01/11/2020

Un "Cahier de l'Herne" consacré à Paul Celan

   

   Ce nouveau Cahier de l'Herne consacré à Paul Celan est un très beau recueil de commentaires et de documents divers, à la fois sur l'homme et sur l'œuvre, ces deux dimensions finissant par se confondre, par la volonté même du poète. Maurice Blanchot et Jacques Derrida, parmi quelques autres, furent les grands intercesseurs de Celan en France au XXe siècle. Une nouvelle génération d'universitaires, depuis, au fil des décennies, est venue continuer l'entreprise herméneutique, alors que la publication de la correspondance de l'auteur de La Rose de personne s'effectuait de manière presque exhaustive. C'est désormais tout un corpus considérable qui se trouve à la disposition du lecteur curieux de cette poésie si singulière, souvent imitée, jamais égalée. 

   Ce Cahier de l'Herne propose un cheminement passionnant autour de la poésie de Paul Celan. Des lettres de Celan ont été choisies, pour leur importance cruciale ou leur splendeur littéraire – par exemple celle adressée en avril 1962 à Nina Cassian. Je ne me lasse pas de relire ces quelques pages, qui concentrent en elles tout l'art mystérieux et profondément sincère que possédait le poète pour s'exprimer dans cette intimité des sentiments. Nous avons aussi, par ailleurs, des poèmes, parfois retraduits, sur lesquels un coup de projecteur est donné. Ces "analyses de textes" sont bien sûr extrêmement précieuses, car Celan n'est pas un poète qui se donne d'emblée. Chaque vers, pratiquement, est un schibboleth qu'il faut décrypter, grâce à des éléments souvent épars. Celan, dans une lettre à un jeune lycéen allemand, s'en expliquait ainsi : "Est-ce se montrer exigeant que de souhaiter – en tant qu'auteur – que le lecteur fasse l'effort de suivre la pensée du poème ?"

  Il faut une grande humilité, au pied du mur, pour lire Celan. Un arrière-fond philosophique et religieux (le judaïsme) baigne son œuvre dans sa concision même. Denis Thouard note comment la "poésie de Celan pénétrée de mort et remémorant les morts s'exposerait constamment à la question de sa propre disparition". Ce chercheur, dans sa contribution, souligne également, avec Alain Badiou, un "retard global de la philosophie sur la poésie". Cette remarque me semble très importante, et exprime la primauté de l'art pour accéder, sinon à l'Être, du moins peut-être à la résurrection, si l'on veut rester dans le domaine religieux, même si celui-ci est pris à revers. Dans de nombreux poèmes, Celan évoque ce cul-de-sac théologique : aucun désœuvrement n'est plus possible, sauf à se tourner, là encore, vers une contemplation instable, non fixe.

   La partie VII de ce Cahier de l'Herne est tout entière consacrée au séjour que Paul Celan, en compagnie de sa famille, passa en Bretagne, au château de Kermorvan, près du Conquet, pendant l'été 1961. Celan y a composé plusieurs poèmes, dont "Kermorvan", ainsi que "Après-midi avec cirque et citadelle", deux pièces magnifiques disséquées ici par Werner Wögerbauer. Cette inspiration littéraire pour le Finistère a interrogé, par la suite, bien des spécialistes de Celan qui, longtemps après, ont tenu à refaire le voyage dans cette contrée lointaine, de manière à en prendre la mesure. Un membre de la famille des Kergariou, les propriétaires du château, m'a appris qu'il avait même reçu un jour la visite d'un éminent professeur japonais, venu spécialement de son pays pour apprécier le paysage de Kermorvan, afin de pouvoir écrire quelque article sur Celan. Pour ma part, j'aime tout particulièrement le deuxième poème que je citais, sur Brest, "Après-midi avec cirque et citadelle", qui invoque Mandelstam de manière inoubliable : "À Brest, devant les cerceaux de flammes, / dans la tente où le tigre bondissait, / là, je t'ai entendu chanter, Finitude, / là, je t'ai vu, Mandelstamm, souche d'amande." Ce qui en allemand donnait : "da hört ich dich, Endlichkeit, singen, / da sah ich dich Mandelstamm."   

   Cet excellent et très riche Cahier de l'Herne nous montre donc combien il est étonnant et recommandable d'habiter cette "Finitude", cette "souche d'amande", et que les efforts pour y parvenir ne seront jamais vains.

 

Cahier de l'Herne Paul Celan. Dirigé par Clément Fradin, Bertrand Badiou et Werner Wögerbauer. Éd. de l'Herne, 33 €.    

20/02/2014

Table ronde sur l'édition

écrire et éditer.png    J'ai eu l'occasion de suivre hier à Brest, organisée par la faculté Victor-Segalen, une table ronde sur l'édition contemporaine, et plus spécifiquement en Bretagne. Des éditeurs étaient présents (Emgleo Breiz, Locus Solus, Alain Rebours pour les éditions Isabelle Sauvage) et quelques écrivains ou illustrateurs (Hervé Jaouen, bien connu des amateurs de littérature populaire, Hervé Lossec, ou encore la jeune Fanny Brulon). Je n'ai suivi que la dernière heure de débat, mais j'ai senti que pointait une sorte d'inquiétude quant à ce secteur d'activité. A une étudiante qui demandait s'il y avait un espoir pour elle de trouver un travail rémunéré dans les métiers du livre, la directrice de Locus Solus ne lui a pas, dans sa réponse, laissé beaucoup d'illusions. On embauche, peut-être, mais au compte-gouttes. Les structures sont minuscules. Quand elles sont vraiment rentables, cela tient du miracle. La Bretagne ne possède pas de grande maison d'édition, seulement de petites entités, qui publient des livres certes, mais somme toute assez confidentiellement. Alain Rebours, qui représentait les éditions de poésie Isabelle Sauvage, et qui, avant de venir travailler près de Morlaix, a passé trente ans dans l'édition parisienne, précise que dans la capitale le climat est aussi à la déprime. Salariés mal payés, postes de plus en plus rares, recours imposé au bénévolat (cette plaie du travail culturel), l'édition reste un métier de prestige, mais réservé à une petite élite, à de très rares privilégiés. C'est presque une "communauté inavouable", précise Alain Rebours qui a lu ses classiques, et même, ajoute-t-il, une "communauté désœuvrée". Bilan peu encourageant, donc : y compris dans le domaine des livres pour enfants où, après des années prospères, la croissance stagne. La séance s'est terminée sur la question de l'édition en ligne. J'ai trouvé, à mon grand étonnement, les intervenants moins pessimistes que je n'aurais cru. Hervé Jaouen a bien pris la défense du livre papier, mais personne n'a évoqué la disparition (presque) annoncée du droit d'auteur. Personne n'a donc souligné la baisse du niveau intellectuel des productions éditoriales, qui en sera la conséquence inévitable et qui a déjà commencé. Un gros point d'interrogation, comme on le voit, dont l'importance n'est, je crois, pas encore clairement mise en perspective par tous ces professionnels du livre, éditeurs et auteurs. A la prochaine rencontre, peut-être, dans un an...   

23/12/2013

Olivier de Sagazan

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   Quand on entre pour la première fois dans une exposition proposant des œuvres d'Olivier de Sagazan, une sorte de malaise vous envahit. Peintures, sculptures, performances plastiques vous assaillent avec une brutalité morbide, dans le même temps qu'elles vous fascinent étrangement. Votre regard ne peut plus s'en déloger. Les images sont désormais là, en vous, et l'on songe peut-être à quelques phrases de Maurice Blanchot sur la ressemblance cadavérique, comme : "L'image, à première vue, ne ressemble pas au cadavre, mais il se pourrait que l'étrangeté cadavérique fût aussi celle de l'image." Le travail de Sagazan explore à plein cette intuition, inlassablement, la transposant dans les endroits les plus improbables (un clip de la chanteuse Mylène Farmer, par exemple). Dans l'exposition qui vient d'ouvrir à Brest, à la Maison de la Fontaine, j'ai été frappé essentiellement par la beauté des sculptures, petits blocs de concentration venus de la nuit des temps. On se demande même si elles ne seraient pas faites pour figurer dans un temple, vouées à quelque culte secret. Mais de quelle religion ? "Le message du Christ est très intéressant par rapport à ma démarche, nous explique Sagazan, mais il a été totalement spolié par la suite par les théologiens." Et ainsi, à travers les corps abîmés, maculés, "cadavérisés", il veut montrer que l'art n'est pas seulement un concept, une abstraction : l'enjeu en est la condition humaine pleine et entière, sa reconnaissance lucide. Pour reprendre une autre formulation de Blanchot, je dirais que Sagazan est un artiste qui nous fait "cohabiter" avec les morts, exploit dont l'effet premier et inattendu est bel et bien de nous libérer...

Exposition "Le Corps dans la Main". Carte blanche à Emma Forestier. Jusqu'au 15 janvier 2014. Maison de la Fontaine, 18, rue de l'Eglise, à Brest. Tél.: 02 98 05 45 89.