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23/06/2020

Thomas Piketty, un clip gros comme le Ritz

   L'essai de Thomas Piketty, Le Capital au XXIe siècle, a été un best-seller de l'année 2013, en France et ensuite dans le monde entier. Jamais livre ne fut plus âprement discuté dans les médias, porté aux nues par certains, ou bien combattu par d'autres. Il touchait un point sensible de la vie des gens, riches ou pauvres, et tous se sont sentis concernés. La référence au Marx du Capital, livre grandiose, a attisé le débat parmi les économistes et les historiens. 

   Devant un tel succès, l'idée d'en tirer un film a germé dans les esprits, et est devenue une réalité, grâce à Justin Pemberton, cinéaste spécialisé dans les documentaires. Thomas Piketty est lui-même crédité pour la réalisation, mais j'ignore dans quelle mesure il a été actif dans ce travail d'adaptation. Voilà un projet, en tout cas, qui rappelle de loin celui de Guy Debord, autrefois, qui mit en images son livre de 1967, La Société du Spectacle

   J'allais donc voir ce nouveau film de Piketty et Pemberton avec une certaine curiosité. J'étais vierge de toute idée préconçue, car je compte parmi les rares, sans doute, à n'avoir pas lu l'essai de Piketty à sa parution. Je m'attendais à un exposé rigoureux et didactique de la situation, dans ses composantes historico-économiques. Au lieu de cela, je me suis retrouvé face à un discours incompréhensible, illustré par un flot d'images qui partaient dans tous les sens. Les séquences défilent à toute vitesse, s'interrompant brutalement, reprenant de manière saccadée et rendant impossible toute suite logique dans les idées. Lorsque Thomas Piketty s'exprime, son propos est noyé dans une soupe postmoderne littéralement insignifiante. Il en va de même, hélas, pour les autres intervenants, y compris quand il s'agit de pointures comme Francis Fukuyama ou Joseph E. Stiglitz. Quel dommage de ne pas leur avoir permis de développer convenablement leurs idées, sur un sujet aussi brûlant !

   En sortant du cinéma, c'est encore à Debord que je pensais. Dans ses Commentaires de 1988, il fustigeait la destruction de l'histoire, dont ce film de Piketty & Pemberton restera sans doute un néfaste modèle. Plus que jamais, nous avons besoin, dans la période que nous traversons, d'une réflexion historique vaillante, parce que, de fait, l'économie a failli. Il nous faut analyser le pourquoi de cette immense catastrophe, qui a atteint l'homme dans son essence même. À la veille d'un scrutin électoral, en France, notre pensée doit être dirigée vers les responsables politiques que nous allons élire démocratiquement, parmi un choix de possibilités où le renouveau de l'écologie a, me semble-t-il, un rôle majeur à jouer, comme une note d'espoir dans le marasme.

   Et puis, restons avec Debord encore un moment, puisque son nom revient sous ma plume de manière si naturelle, et relisons certaines thèses de La Société du Spectacle, qui n'ont rien perdu de leur bien-fondé, en particulier lorsqu'un film sans intérêt essaie de créer une diversion et nous éloigner du principal. Écoutons par exemple, et je conclurai par là aujourd'hui, ce que nous dit la thèse 52 : "Au moment où la société découvre qu'elle dépend de l'économie, l'économie, en fait, dépend d'elle. Cette puissance souterraine, qui a grandi jusqu'à paraître souverainement, a aussi perdu sa puissance. Là où était le ça économique doit venir le je. Le sujet ne peut émerger que de la société, c'est-à-dire de la lutte qui est en elle-même. Son existence possible est suspendue aux résultats de la lutte des classes qui se révèle comme le produit et le producteur de la fondation économique de l'histoire."

   Ce retour du sujet, dans le malheur des temps, m'inspire beaucoup.

 

Thomas Piketty, Le Capital au XXIe siècle. Éd. du Seuil, 2013. Disponible en poche chez "Points Histoire", 14,50 €. — Guy Debord, La Société du Spectacle, 1967. Disponible dans la collection "Folio".