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30/01/2015

L'Etat, le terrorisme et la démocratie

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   Dans des réflexions que j'ai pu lire dans les journaux ou sur des blogs, à propos des événements terroristes de ce mois de janvier en France, il m' a semblé voir apparaître un sentiment de grande ambiguïté et de trouble vis-à-vis du rôle même de l'État. D'une part, les citoyens ont ressenti assez justement l'atteinte portée symboliquement à l'unité nationale, mais d'autre part ils ont accueilli le rôle que se sont octroyé leurs représentants politiques avec la plus grande réserve, en les voyant se jeter sur ce prétexte tragique pour renforcer tout un arsenal de lois répressives. A tel point, dans ce contexte, que la fameuse loi Macron, discutée au Parlement, a dû être amputée de dispositions particulièrement liberticides, qui faisaient scandale dans les gazettes et les écoles de journalisme.

   Je me demandais ces jours-ci ce qu'un penseur comme Guy Debord aurait dit du terrorisme islamiste contemporain. Relisant certains passages de ses livres, je vérifiais qu'il n'aurait pas eu à ajouter grand-chose à ce qu'il avait écrit, par exemple en 1988 dans ses Commentaires sur la Société du Spectacle. Je vais vous citer le passage, mais en précisant tout de suite qu'il ne faut pas interpréter le propos de Debord comme une énième répétition de la théorie du complot. Il n'aurait évidemment jamais prétendu que c'est l'État qui a organisé le massacre parisien du début janvier. Sa pensée est beaucoup plus fine, et trouve d'ailleurs un écho insolite parmi beaucoup de commentateurs actuels (par exemple sur le site Mediapart). Voici le passage en question :

   "Cette démocratie si parfaite fabrique elle-même son incroyable ennemi, le terrorisme. Elle veut, en effet, être jugée sur ses ennemis plutôt que sur ses résultats [souligné par Debord]. L'histoire du terrorisme est écrite par l' État ; elle est donc éducative. Les populations spectatrices ne peuvent certes pas tout savoir du terrorisme, mais elles peuvent toujours en savoir assez pour être persuadées que, par rapport à ce terrorisme, tout le reste devra leur sembler plutôt acceptable, en tout cas plus rationnel et plus démocratique." (Chapitre IX)

   Dans un même mouvement, c'était la question centrale de la démocratie qui se trouvait ainsi posée, et je crois que c'est encore ainsi qu'elle se pose aujourd'hui, comme une éternelle quadrature du cercle, si souvent pour le malheur des populations. Debord devait constater à ce sujet, dans un livre de 1993, sans du reste beaucoup s'étendre sur une question qui lui semblait désormais assez vaine : "Tocqueville ne garantissait pas, de son vivant, que la liberté aurait réellement sa place dans les futures sociétés libérales." L'assertion était hélas sans réplique ; avait-il tort en cela ?

   Quand il m'arrive parfois — à vrai dire assez rarement — de parler à des jeunes de la pensée de Debord, et même de celle de Baudrillard (qui lui doit tant), je rencontre chez mes interlocuteurs une sorte d'indifférence latente. Le seul résultat que j'en retire, est qu'ils me prennent pour un vieux réactionnaire de droite, nostalgique d'un passé révolu. Telle est donc la postérité de cette pensée situationniste, jadis fleuron de l'avant-garde et de la pensée d'extrême gauche. Elle a changé de lieu.

Illustration : image du film de Debord, In girum imus nocte et consumimur igni (1978)

Commentaires

Les patrons et l’Elysée ont bien essayé de profiter de la terreur : « Ce serait tout de même assez malvenu que les partenaires sociaux n’arrivent pas à signer un accord sur le dialogue social, alors que la France a fait preuve d’une unité nationale exceptionnelle »(le medef) ou « Compte tenu du contexte d’union nationale, les Français ne comprendraient pas que les partenaires sociaux ne se mettent pas d’accord »(Hollande) . Fiasco! Apparemment « tout le reste » ne semble pas acceptable, l’accord sur le dialogue social n’a pas abouti et les routiers ont déclenché un mouvement de grève...

Écrit par : lucm.reze | 03/02/2015

Pour aller, un peu, dans votre sens, on pourra se reporter à l'article du quotidien allemand "Süddeutsche Zeitung" (repris dans "Courrier international" de cette semaine) et qui se félicite de la tournure que prennent les choses : "le gouvernement français, écrit le journal, ne sombre pas dans l'hystérie. Il ne rogne pas sur les libertés civiles, poursuit-il, au profit de la sécurité intérieure. Il ne brade aucun des principes de l'Etat de droit."
Or, l'on pourrait dire que les lois répressives sont peut-être déjà là. Et que le gouvernement n'a plus qu'à les appliquer en les intensifiant.
Car, comme l'écrit quand même la "Süddeutsche Zeitung", "si le gouvernement français reste calme, il n'en agit pas moins. Il ne préconise pas de nouvelles lois, mais plutôt une application plus rigoureuse de celles qui dont déjà en vigueur."
Voilà qui a le mérite d'être (partiellement) clair...

Écrit par : jem | 04/02/2015

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