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28/06/2015

Retour sur Maurice Blanchot

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  Dans une lettre récente qu'il m'écrivait, Pierre Madaule, grand spécialiste de Blanchot devant l'Éternel, attirait mon attention sur un ouvrage qui venait de paraître, Blanchot l'obscur ou La déraison littéraire, signé de deux professeurs de philosophie, et publié aux éditions Autrement, dans la collection de Michel Onfray. Madaule me confiait notamment : "Dans ce livre en effet, les deux auteurs montrent où mènerait la lecture universitaire actuelle de ce qu'ils désignent comme l'œuvre de Blanchot et qui, évidemment, ne comprend pas les récits de Blanchot." Madaule ne s'est pas étendu davantage, mais avait fait naître en moi le désir de prendre connaissance de cet essai.

   Henri de Monvallier et Nicolas Rousseau — ainsi se nomment nos deux auteurs — ont effectué un assez court travail pour tenter de démontrer qu'on avait, avec Blanchot, affaire à une fumeuse escroquerie intellectuelle. À travers Blanchot, ils s'en prennent aussi bien à un grand courant de la philosophie française, nommé French Theory. Leur démonstration se prétend rigoureuse, mais il ne suffit pas d'accumuler des citations de Blanchot, ou de Derrida, d'ajouter quelques phrases à prétention humoristique, pour atteindre la cible. Voilà au fond, me suis-je dit, un piteux pamphlet, qui ne donnera à aucun lecteur ni le goût de la philosophie, ni celui de la littérature. Et je ne parle pas ici des multiples erreurs factuelles, qui émaillent ce livre, et qu'une relecture tant soit peu éclairée aurait pu corriger.

   Monvallier et Rousseau ne nous apportent rien de nouveau. Ils ne creusent même pas les concepts de "déraison" ou de "nihilisme" qui, selon eux, caractérisent Blanchot. Ils nous donnent là en fait un travail nullement universitaire, se contentant de nous fabriquer du journalisme superficiel. Dans les quelques mots de sa lettre, Madaule, lecteur pointilleux, a bien vu de quoi il retournait : de cette déficience aujourd'hui courante du travail intellectuel, qui se contente de survoler, comme ici, deux ou trois livres d'un écrivain, toujours les mêmes, et laisse de côté l'essentiel, en particulier les récits. Par exemple, le livre de Monvallier et Rousseau ne mentionne aucune fois L'Arrêt de mort, étape pourtant cruciale du cheminement de Blanchot.

   Dans leur avant-propos, nos deux essayistes racontent comment leur livre a été refusé par de nombreux éditeurs, jusqu'à ce que Michel Onfray accepte de les prendre sous son aile protectrice. Je ne suis évidemment pas favorable à ce qu'on censure un ouvrage qui serait hostile à un écrivain que je ne cesse d'admirer ; mais ne suis-je pas, comme les autres lecteurs, en droit d'exiger un discours étayé et sérieux ? Je suis même preneur des considérations critiques, quand elles restent de bonne foi. Ainsi, plutôt que de vous conseiller ce Blanchot l'obscur, je vous rappellerai un autre livre, paru cet hiver, l'excellent pamphlet de Jean-François Mattéi, L'Homme dévasté. Essai sur la déconstruction de la culture, aux éditions Grasset. Le regretté philosophe s'attaquait, lui aussi, à la French Theory, mais avec compétence et panache.

   Ce qui ne reste pas clair du tout, à mon sens, c'est la position actuelle de l'université vis-à-vis d'une œuvre comme celle de Blanchot. On conseille aux étudiants d'acheter quelques-uns de ses livres, et plutôt les essais. Mais personne ne les lit, et les professeurs n'en disent rien. On peut regretter une telle pédagogie, qui conduit d'ailleurs tout droit à ce que Blanchot lui-même prophétisait : l'extinction de toute trace de vraie pensée dans la modernité : "♦ L'époque où toutes les vérités sont des histoires, où toutes les histoires sont fausses : nul présent, rien que de l'actuel." (Le Pas au-delà, page 78)

Henri de Monvallier et Nicolas Rousseau, Blanchot l'obscur ou La déraison littéraire. Préface de Michel Onfray. Éditions Autrement, collection "Universités populaires & Cie". 17,50 €.

Illustration : peinture de Barnett Newman.  

18/06/2015

Exposition Giacometti à Landerneau

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  Le Fonds Hélène&Édouard Leclerc de Landerneau accueille depuis le 14 juin une très intéressante exposition consacrée à Alberto Giacometti. Les œuvres proposées viennent de la Fondation Giacometti, et elles ont été installées de manière à être le plus possible en adéquation avec le très bel espace de l'ancien couvent des Capucins, restauré il y a quelques années pour devenir un lieu entièrement dévolu à l'art. Autant dire que se promener parmi les sculptures et les peintures de Giacometti, comme je l'ai fait hier, dans cette sorte de grande église toute neuve, est un moment magique que vous n'oublierez pas. J'ai juste regretté peut-être qu'il n'y ait pas davantage d'œuvres, notamment de sculptures, mais je crois que ce minimalisme était voulu par les organisateurs.

   L'exposition montre de manière chronologique l'évolution artistique de Giacometti. Il a d'abord, comme on sait, été influencé par le surréalisme, pour réussir ensuite, à force de travail et d'efforts, à se dégager de toute emprise. Comme tout vrai et authentique artiste, il voulait exprimer son regard, et seulement son regard. C'est pourquoi, inlassablement, il faisait poser ses modèles des heures durant, dans le froid de son atelier, et n'était jamais content, évidemment, du résultat.

   Ce qu'on appelle les "peintures noires", et qui se trouvent dans la salle n° 9 de l'exposition, m'ont à nouveau beaucoup frappé. Je les ai contemplées longuement (déplorant du reste qu'on n'ait pas installé à cet endroit de banquette pour s'asseoir). Datant des années 1950 à 1960, ces œuvres dérangeantes ont ouvert une nouvelle voie, qui a, selon moi, marqué beaucoup de peintres non figuratifs. L'abstraction perce, dans ces visages monochromes, qui hurlent à nos oreilles je ne sais quelle prière de détresse.

   C'est d'ailleurs Genet qui nous le rappelait, dans son Atelier d'Alberto Giacometti : "L'art de Giacometti me semble vouloir découvrir cette blessure secrète de tout être et même de toute chose, afin qu'elle les illumine." Car, malgré les apparences, il s'agit bel et bien d'un art à la recherche de la lumière, et voilà l'impression dominante qu'on a, du moins que j'ai eue, après cette somptueuse visite dans le couvent des Capucins.

Exposition Giacometti. Fonds Hélène&Édouard Leclerc. Aux Capucins, 29800 Landerneau. Tél. : 02 29 62 47 78.  Du 14 juin au 25 octobre 2015.

Jean Genet, L'Atelier d'Alberto Giacometti. Éd. Gallimard (L'Arbalète), 2007.