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04/12/2013

Hors de l'être, hors du faire

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   Si jamais je venais à bout de ma lecture de Heidegger, je dirais sans doute, encore une fois, qu'en parlant de l'être de manière centrale, le philosophe a malgré tout soupçonné l'intérêt de se situer "hors de l'être". C'est une intuition que je ressens confusément chez lui, et qui irait d'abord de pair, me semble-t-il, avec "l'oubli de l'être" dont il est si souvent question dans ses textes, et qui ouvre d'ailleurs Etre et Temps. Dans Les Concepts fondamentaux de la métaphysique, Heidegger se tourne vers Nietzsche, pour concevoir avec lui un instant "l'être comme dernière fumée d'une réalité en train de s'évaporer". Cette approche paradoxale de l'être comme "comble du néant" ne sera à vrai dire jamais explicite dans l'œuvre de Heidegger, évidemment. A lire avec attention certains passages, j'ai cependant la conviction que cette idée demeure sous-jacente, sans doute jamais développée jusqu'à son terme, mais bien là, comme une perspective hors champ : "Nous séjournons dans le domaine de l'être sans être pour autant directement admis en lui, tels des apatrides dans leur patrie la plus propre, si toutefois nous sommes en droit d'appeler ainsi notre propre essence. Nous séjournons dans un domaine sans cesse sillonné par la lancée et le rejet de l'être." Reste à savoir, après cela, si ce "rejet de l'être", à peine esquissé par Heidegger, pourrait être ou non rapproché du désœuvrement intime qui conduirait le Dasein non seulement hors de l'être, mais aussi hors du "faire". Je serais tenté, on le sent, d'entrer dans cette pensée, quitte à poser encore et toujours la question du nihilisme.

30/11/2013

Albert Cossery (1913-2008)

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   Ecrivain rare et discret, Albert Cossery habitait depuis la Guerre dans une petite chambre de l'hôtel La Louisiane, rue de Seine, en plein cœur de Saint-Germain-des-Prés. On l'apercevait parfois, élégante silhouette, en début d'après-midi, au Café de Flore, installé à une table et contemplant de son œil d'aigle les jolies femmes. Né le 3 novembre 1913 au Caire, il aurait eu cent ans ce mois-ci. Ses romans ont un caractère indéfinissable. Au fond, Cossery était avant tout un philosophe, qui aura essentiellement vécu pour vivre et illustrer sa philosophie si singulière : une philosophie du désœuvrement. Il avait coutume, paraît-il, de dire en montrant ses belles mains immobiles : "Tu vois, elles n'ont pas travaillé depuis trois mille ans..."  Se plonger dans ses livres est une véritable cure de jouvence, un rafraîchissement de l'esprit. On se réconcilie avec l'existence. On accède à l'essentiel. Dans Mendiants et orgueilleux, il écrivait par exemple ceci : "En fait, c'était sous le couvert de cette prétendue absurdité du monde que se perpétuaient tous les crimes. L'univers n'était pas absurde, il était seulement régi par la plus abominable bande de gredins qui eût jamais souillé le sol de la planète. En vérité, ce monde était d'une cruelle simplicité, mais les grands penseurs à qui avait été dévolue la tâche de l'expliquer aux profanes ne pouvaient se résoudre à l'accepter tel quel, de peur d'être taxés d'esprits primaires." Ce n'est pas pour rien que Cossery avait été l'ami de Jean Genet, et surtout d'Albert Camus. Je me demande d'ailleurs si la postérité, dans sa grande sagesse, ne retiendra finalement pas davantage Cossery que Camus dans son panthéon. J'aime beaucoup Camus, mais le "pharaon" Cossery me semble tellement plus radical et subversif dans sa cohérence naturelle ! Nous avons d'ailleurs de la chance : les romans de Cossery sont parfaitement disponibles, grâce à l'éditrice Joëlle Losfeld, qui veille sur la destinée posthume de son prestigieux auteur et ami. Ainsi, vous n'aurez aucune excuse de passer à côté de cette œuvre indispensable, durant votre courte vie. La révélation est là, qui vous tend les bras...

21/11/2013

Histoire tzigane

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   Mon ami Gilles, qui habite Varsovie depuis plus de vingt ans, m'a rapporté l'histoire suivante, parfaitement vraie d'après lui, qu'il avait entendu raconter dans un bar par un habitant de son quartier de Mokotow. Chaque matin, lorsque cet homme sortait de chez lui pour se rendre à son travail, il rencontrait au pied de l'immeuble un locataire tzigane assis sur une chaise, qui prenait tranquillement le frais sans se soucier de rien. Rentrant le soir, il saluait à nouveau le Tzigane qui n'avait, semble-t-il, pas bougé de la journée. Ce petit jeu dura assez longtemps, quelques mois peut-être. Un jour cependant, le Polonais, en le croisant comme de coutume, aperçoit le Tzigane en compagnie d'un collègue, tous deux installés sur de gros sacs de voyage, et prêts visiblement pour un départ imminent. "Vous vous en allez ? lui demanda-t-il." Le Tzigane lui fit cette réponse admirable : "Oh, oui ! J'ai eu une année très chargée. Maintenant, j'ai besoin de partir me reposer..." Et en effet, le Tzigane disparut alors, on ne le revit d'ailleurs jamais. L'histoire ne s'arrêtait pas là. Peu après, l'immeuble fut cambriolé, et les soupçons se portèrent évidemment tout de suite sur le Tzigane. Nonobstant, le véritable coupable était un autre résident, qui expliqua aux policiers qu'il n'avait pas osé agir tant que le Tzigane occupait les lieux. Le Tzigane lui faisait peur.