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22/08/2017

Saint Augustin en Bouquins

   Il y a des lectures qui demandent du temps. Je vous dis aujourd'hui quelques mots des Sermons sur l'Écriture de saint Augustin, publiés en 2014, parce que je viens juste de les terminer. La collection "Bouquins" de chez Laffont avait eu l'heureuse idée de les republier alors, sous la houlette de Maxence Caron, et dans une traduction du XIXe siècle. C'est ainsi 1500 pages de texte qui étaient proposées au public du XXIe siècle. Dans sa préface, Maxence Caron partait d'un constat pessimiste : "Notre époque est la première depuis saint Augustin à ne pas avoir accès aux Sermons de saint Augustin. Leur dernière publication remonte à cent cinquante années. C'était au XIXe siècle. Le XXe siècle français ne les publia donc pas." Maxence Caron écrivait cela en 2014, et l'on peut donc dire que cette publication des cent quatre-vingt-trois Sermons sur l'Écriture fut un événement, sachant qu'il y a en tout cinq cents sermons de la main du saint. À la lecture de cette somme théologique, et malgré une traduction qui aurait eu avantage à être révisée, on est évidemment pris par l'écriture éblouissante de saint Augustin, et l'on découvre avec un plaisir grandissant ce qui nous avait été dissimulé pendant si longtemps. Cette prose, grâce à ses références constantes à la Bible, n'est jamais pesante ni même austère. Il faut voir avec quelle sensibilité esthétique saint Augustin nous parle, deux sermons durant, du Notre Père, cette prière d'une simplicité extrême où le moindre faux pas aurait été sacrilège. Mais non, jusqu'aux confins de l'Apocalypse de Jean, saint Augustin garde une même rigueur fascinante pour nous confirmer ce que, du reste, nous savions déjà : que les Écritures saintes sont l'un des plus beaux réservoirs de littérature qui soit au monde. Et vraiment, l'on se dit qu'il faut posséder dans sa bibliothèque ces Sermons d'une des figures les plus attachantes du christianisme, à côté de ses fameuses Confessions.

Saint Augustin, Sermons sur l'Écriture. Traduction de l'abbé Jean-Baptiste Raulx. Édition établie et préfacée par Maxence Caron. Éd. Laffont, "coll. Bouquins", 2014, 33 €.

29/10/2015

Maître Eckhart, l'étoile du matin

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   Je ne crois pas que l'on dispose de portrait avéré de Maître Eckhart, qui a vécu entre la fin du XIIIe siècle et le début du XIVe (ses dates de vie et de mort sont sujettes à caution). Certaines de ses œuvres ont été perdues. On sait qu'il fut un haut responsable dominicain, auteur de nombreux livres de théologie qui tendaient à la mystique. Une bulle du pape Jean XXII l'accusa d'hérésie le 27 mars 1329, Eckhart étant probablement déjà mort.

   Il faut distinguer chez Maître Eckhart une double inspiration, entre ses ouvrages écrits en latin et ceux en allemand. Les sermons et les traités font partie de cette deuxième catégorie ; ils s'adressaient au tout-venant. Le latin était réservé aux travaux universitaires, à la recherche proprement dite. Je connaissais jusqu'à présent principalement l'œuvre en allemand. J'avais lu, il y a quelques années, l'excellent volume des "Sermons et Traités" traduit par Paul Petit en 1942, et réédité dans la collection "Tel" de Gallimard. Dans ces textes, Eckhart faisait montre d'une belle inventivité intellectuelle, que l'allemand plus que le latin lui permettait.

   Le Commentaire du Livre de la Sagesse, qui vient d'être traduit en français, appartient aux œuvres en latin. D'emblée, on y sent donc une discipline plus systématique, mais néanmoins d'une grande séduction théorique. Le Livre de la Sagesse est commenté extrait par extrait, de manière d'ailleurs non exhaustive. Dans son introduction, Marie-Anne Vannier nous dit à ce propos cette chose intéressante : "À sa manière, Eckhart anticipe une méthode qui sera reprise ensuite [...] et qui est actuelle. Cette méthode n'est pas sans être influencée par Maïmonide, qui préconisait une lecture rationnelle de l'Écriture pour aider les intellectuels qui restaient perplexes après avoir vainement cherché une conciliation entre le sens littéral de l'Écriture et les vérités rationnelles."

   Le texte biblique est ainsi passé au crible méticuleux des commentaires. Eckhart s'appuie aussi bien sur Aristote, le "Philosophe", qui lui permet une construction ontologique, d'ailleurs promise à un bel avenir en philosophie : "il faut remarquer, écrit par exemple Eckhart au quinzième chapitre, que toute puissance reçoit son être, qu'elle est tout entière par son essence, de l'acte pour lequel elle existe". Heidegger a été influencé par de tels passages.

   Maître Eckhart, surtout, est véritablement un grand professeur de lecture, dont la méthode herméneutique pour comprendre un texte biblique est grandiose. Tous les éléments, me semble-t-il, se réunissent sous sa plume, et c'est ce qui le distinguera à jamais, pour diriger l'analyse vers une perspective mystique, proche et lointaine à la fois, dont il garde soigneusement la maîtrise. Il est très difficile de ne pas y être sensible, — même dans cette œuvre en latin.

Maître Eckhart, Commentaire du Livre de la Sagesse. Traduction de Jean-Claude Lagarrigue et Jean Devriendt. Introduction et commentaires de Marie-Anne Vannier. Éd. Les Belles Lettres, coll. "Sagesses médiévales", 35 €.

Illustration : Cy Twombly

22/02/2015

Clint Eastwood, une ardeur patriotique

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   Clint Eastwood fait déjà partie des classiques, après une longue carrière d'acteur et de réalisateur. Son inspiration de cinéaste a fluctué au gré des sujets, variés et inégaux. Si Gran Torino ou Million Dollars Baby étaient d'indéniables chefs-d'œuvre, d'autres films nous ont laissés perplexes. Avec le dernier en date, American Sniper, qui fait un tabac au box-office, la perplexité est majeure. L'histoire avait pourtant de quoi inspirer Eastwood : la vie d'un tireur d'élite de la marine de guerre américaine (SEAL) au cours de ses différentes missions en pleine guerre d'Irak, et le choc post-traumatique quand il revient chez lui, après avoir établi un record de cibles tuées (160 officiellement), parmi lesquelles des femmes et des enfants. Le film nous montre les opérations sur le terrain avec, il est vrai, un beau réalisme, ainsi que le "travail" de précision du sniper, un Américain du Texas nommé Chris Kyle, qui a réellement existé, interprété magnifiquement par l'acteur Bradley Cooper, qui insuffle au caractère de son personnage une sorte d'ambiguïté proche de la folie. Chris Kyle deviendra vite une "Légende", parmi ses frères d'armes, mais aussi chez l'ennemi arabe. Sa tête sera mise à prix 80.000 $. Face à ce cas d'école assez impressionnant, Clint Eastwood aurait pu choisir de poser des questions pertinentes, par exemple sur le bien-fondé de l'engagement des Américains en Irak. Mais jamais, semble-t-il, le moindre doute n'est instillé sur ce conflit absurde. Quand il filme Chris Kyle, au tout début, qui s'apprête à abattre un enfant et sa mère, c'est d'une manière qui tend à justifier cet acte horrible, et peut-être nécessaire, mais en en gommant la violence. Bien sûr, ce "droit de tuer" quasi absolu aura des conséquences désastreuses sur le psychisme de Chris Kyle, mais le film ne s'interroge pas vraiment sur leur cause. Eastwood montre par ailleurs des soldats revenus du front, qui ont été gravement blessés au combat, mais il le fait en cherchant toujours, là aussi, le point de vue qui va diluer la tragédie. American Sniper est ainsi surtout un long chant patriotique à la gloire de l'Amérique, de ses guerres et de ses héros disparus. Le scénario y reste, pour atteindre ce but, extrêmement basique, et même lassant. Défendre l'Amérique est la seule idée, en somme, qui guide le cinéaste, républicain revendiqué sur le plan politique, comme s'il produisait avec ce film un clip militariste que tout le monde serait à même de comprendre, — surtout les jeunes pour qu'ils n'hésitent pas à s'engager. De pensée, point, malheureusement. Un peu comme cette Bible qu'enfant Chris Kyle dérobera pendant un service religieux, et qu'il emmènera partout avec lui, en Irak et ailleurs, mais sans que jamais au grand jamais, comme il est souligné dans une scène, il ne l'ouvre.

19/01/2014

Suicide

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   Lors de sa conférence de presse, le président Hollande a affirmé sa volonté d'instituer une "assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité". C'est une déclaration certes d'ordre général. Il n'emploie à aucun moment le mot d'euthanasie ou de suicide. Néanmoins, c'est une promesse assez forte, à condition qu'elle soit suivie d'effet. Et elle le sera dans un premier temps, lorsque le Comité National Consultatif d'Ethique remettra un rapport afin qu'une loi soit débattue et votée au Parlement. On ressent la nécessité d'une telle loi, notamment ces derniers jours avec l'affaire Lambert, où la justice a décidé, contre l'avis de membres de sa famille et des médecins, le maintien en vie d'un patient quasi-inconscient depuis 2008. Manifestement, la loi Leonetti, qui permettait à un malade l'arrêt de son traitement, semble ici assez insuffisante. Il faut aller plus loin, et en particulier confier un pouvoir plus large au corps médical. Un point important réside dans la terminologie qui sera adoptée. Euthanasie ? Suicide assisté ? Accompagnement thérapeutique ? A mon avis, le législateur devrait faire porter plus précisément sa réflexion non tant sur l'euthanasie que sur le suicide, concept qui a l'avantage de présenter un caractère éthique. Le terme d'euthanasie, administratif et impersonnel, peut faire très légitimement peur. Au contraire, la détermination personnelle, à l'œuvre dans le suicide, s'inscrit dans un cadre que l'on connaît mieux, faisant appel à la pleine et entière liberté de conscience. La mort volontaire a une très longue tradition derrière elle. Elle est un élément central de notre culture, comme l'ont bien montré certains écrivains, comme par exemple Montherlant (photo). Le débat risquera néanmoins d'être virulent, ainsi que dans l'épisode du mariage pour tous, dont on ne parle du reste plus guère. Les catholiques, comme d'habitude, seront aux avant-postes. Et pourtant. Dans une chronique du Point, le 25 septembre dernier, Gabriel Matzneff, auteur d'une essentielle Etude du suicide chez les Romains, faisait remarquer qu'il n'y avait dans la Bible, je cite, "pas la moindre condamnation du suicide, que celui-ci soit assisté ou non". Dans un document récent, la Conférence des évêques appelait quant à elle au "respect à toute personne en fin de vie". Et, pour le progrès de l'humanité, il ne faut viser à rien d'autre qu'à cela, mais s'en donner les moyens.