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21/01/2022

Le nouveau roman de Houellebecq

Michel Houellebecq : anéantir, une belle réussite romanesque

 

 

Le nouveau roman de Michel Houellebecq, anéantir, a été accueilli en fanfare. La couverture, spécialement conçue par l’auteur, blanche et cartonnée, avec un signet rouge, comme dans la Pléiade, a fait beaucoup parler d’elle. Il faudra s’y habituer, cette présentation rigide est déjà en vogue dans les pays anglo-saxons, et semble contredire le côté « jetable » des produits manufacturés contemporains. Le livre est là pour durer ; du moins, telle est la volonté de Houellebecq, qui nous offre donc un gros roman agréable à tenir en main, esthétique pour l’œil, avec une référence visuelle, pourquoi pas, au « white album » des Beatles. Pour ma part, j’ai plutôt apprécié. Reste maintenant à savoir ce que vaut sur le fond anéantir, et je dois dire que, là aussi, j’ai été plutôt séduit.

 

Après Soumission et Sérotonine, deux grandes réussites littéraires, Houellebecq a décidé de creuser dans la même veine, une sorte de réalisme romanesque, tempéré par un art de la litote qui l’apparente aux meilleurs moralistes français. L’histoire est assez simple. Paul, le personnage principal, la quarantaine, énarque, est conseiller du ministre de l’économie, à Bercy. Nous sommes à la veille de l’élection présidentielle de 2027. Des attaques terroristes viennent perturber un climat social apaisé, alors que l’économie repart à la hausse. Il s’agit, on le constate, d’une « dystopie », et cela permet à Houellebecq de nous concocter d’ingénieuses considérations sur la politique. Et d’appuyer aussi sur le thème de l’amitié, grâce à celle qui rapproche Paul de son ministre, Bruno (calqué sur l’authentique Bruno Le Maire), homme d’État promis, il est vrai, à un grand destin ‒ peut-être celui de devenir un jour ou l’autre président de la République.

 

Néanmoins, l’aspect essentiel d’anéantir réside, outre sa dimension sociologique, dans les relations humaines, celles entre Paul et sa femme Prudence, ainsi que celles, plus complexes, avec sa famille. C’est ce qui intéresse Houellebecq avant tout, et là où il est très fort. Le thème de la fin de vie est également très présent. Nous savons, après l’article retentissant paru il y a peu dans Le Figaro, que la mort obsède Houellebecq. Lorsque le père de Paul est atteint d’un AVC et en ressort très handicapé, le roman se concentre sur la question de l’euthanasie et de la qualité des soins en EHPAD. Houellebecq prône, même dans les pires épreuves, une sorte de réconciliation avec la vie. À la fin du roman, ce sera au tour de Paul lui-même d’être confronté à la maladie et d’accueillir l’éventualité de sa propre disparition. Houellebecq, qui s’est documenté très sérieusement sur l’aspect technique de ce qu’il raconte, nous expose d’une manière dramatique et saisissante comment soudain, dans la vie, la mort peut surgir et s’infiltrer de manière implacable. Je dois dire que j’ai été bouleversé par ces pages sans effets particuliers, sobres, parmi les plus belles de Houellebecq, dans lesquelles son écriture extrêmement fluide fait des merveilles.

 

Houellebecq y met juste ce qu’il faut de digressions sur Dieu et la religion. Le personnage de Paul, fort intelligent, n’est pas pour autant un pur intellectuel. Il confère à ce qui lui arrive une dimension toute humaine. « Le monde était-il matériel ? C’était une hypothèse, mais pour ce qu’il en savait le monde pouvait aussi bien être composé d’entités spirituelles... » Depuis Soumission, au moins, on sent Houellebecq hésiter à franchir le pas de la croyance religieuse. Face au nihilisme grandissant du monde moderne, il semble se demander, comme avant lui Huysmans, si la religion ne lui apporterait pas la sérénité qu’il espère. Dans un passage, il cite même un verset de Claudel, et on sent qu’il regrette de ne pouvoir le reprendre à son compte : « Je sais que là où le péché abonde, là votre miséricorde surabonde. »

 

Malgré l’aspect tragique de son roman, Houellebecq me paraît, dans anéantir, s’être réconcilié pour une part avec l’existence. Son personnage de Paul, son alter ego, n’est pas un homme révolté. Il ne veut pas renverser l’État, et, lorsqu’il tombe malade, il l’accepte, avec angoisse, sans doute, mais de façon plutôt fataliste. Dans anéantir (le titre même aurait pu induire plus d’agressivité et de rébellion), Houellebecq ne fait nullement œuvre de subversion. C’est peut-être dommage. Il est rentré dans le rang, bien sagement ‒ avec pour seul viatique la certitude qu’il faut traverser cette existence le mieux possible, sans être dupe de la société et de ce qu’elle vous impose parfois à mauvais escient. Une sagesse perce, en filigrane, comme si un nouveau Houellebecq était en train de naître. Il a la pudeur de ne pas insister à outrance sur cet état d’esprit. Il écrit d’ailleurs, dans les « remerciements », de manière assez amusante : « Je viens par chance d’aboutir à une conclusion positive : il est temps que je m’arrête. »

 

J’attends d’ores et déjà les prochains livres de Michel Houellebecq, avec la plus grande et belle impatience...

 

Michel Houellebecq, anéantir . Éd. Flammarion, 26 €.

À lire également, Misère de l’homme sans Dieu. Michel Houellebecq et la question de la foi. Sous la direction de Caroline Julliot et Agathe Novak-Lechevalier. Éd. Flammarion, collection « Champs essais », 14 €.

05/10/2020

La fin du "Débat"

   

   Je lisais chaque numéro du Débat, la revue mythique de Pierre Nora éditée chez Gallimard. Je passais de longues heures à la bibliothèque à prendre connaissance de ses articles toujours bien étayés et à la pointe de la pensée actuelle. Je ne m'étais jamais abonné. Lorsqu'un thème m'intéressait particulièrement, j'achetais la revue. L'annonce de l'arrêt du Débat par Pierre Nora m'a fait un choc, incontestablement. Cet arrêt revêtait des significations multiples, comme si la revue, à force de critiquer les travers de notre société, s'en était finalement prise à elle-même et en avait tiré les conclusions. Pierre Nora a accompagné avec moult paroles cet enterrement de première classe, dont toute la presse a parlé. En lisant son éditorial dans ce dernier numéro du Débat, ainsi que les diverses interviews qu'il a données, notamment au Figaro et à Charlie Hebdo, quelque chose cependant me titillait et me laissait insatisfait.

 

Une succession possible ?

   Je me demandais d'abord si l'équipe dirigeante du Débat n'aurait pas pu organiser, depuis quelques années, sa succession. Pourquoi n'avoir pas choisi de passer le flambeau à une équipe plus jeune, que Nora, Gauchet et Pomian auraient formée à l'art délicat de confectionner une revue ? Nora donne des arguments, comme quoi la situation actuelle du Débat ne s'y prêtait pas. Il va jusqu'à écrire : "Le moment n'est-il pas venu, pour continuer ce type de travail, de trouver d'autres formes d'expression ?" Il ne dit pas lesquelles. D'autre part, il ne s'appesantit pas sur les éventuels repreneurs du Débat, comme si rien que le seul fait d'y penser lui faisait mal au cœur. Il déclare pourtant dans Charlie : "J'ai l'impression d'un retour à une volonté d'ouverture chez les jeunes historiens, à un désir de ne pas s'enfermer dans le discours universitaire." C'était à mon avis une idée à creuser, au lieu de dire : "Après moi, le déluge !" Il existe en France, parmi les jeunes chercheurs notamment, tout un potentiel de compétences qui ne demande qu'à s'exercer. Gallimard, mécène du Débat, n'aurait certainement pas refusé de continuer, avec une nouvelle génération d'agitateurs d'idées adoubés par Nora et Gauchet.

 

L'éloignement de l'idéal révolutionnaire

   Durant ces quarante années d'activité, Le Débat a mis au jour son intuition d'un changement de monde. De grands articles ont jalonné cette épopée, comme celui de Milan Kundera, au début des années 80, qui me semble très emblématique, "Un Occident kidnappé" (qu'on peut lire sur Internet librement). Pour les plumes du Débat, on se dirigeait vers une société complexe, dans laquelle l'idée de révolution avait perdu sa consistance. On arrive à la période de l'après Mai-68 et de ses désillusions, les avant-gardes se sont dissoutes dans l'air du temps, ces hédonistes années 70 empreintes de légèreté plus ou moins blâmable. Seul, ou presque, un Guy Debord restera fidèle à sa dénonciation de la "société spectaculaire-marchande". Quelques années plus tard, après avoir écrit un dernier livre, il constatera la sclérose idéologique des temps, et en tirera les conséquences de la manière que l'on sait.

   Dans ce dernier numéro du Débat, il y a un article de Marcel Gauchet sur l'individualisme, qui a spécialement retenu mon attention. Il y évoque, en conclusion, ce qu'il reste aujourd'hui de la révolution, après notamment l'épisode contemporain des Gilets jaunes, qui s'en sont réclamés sans d'ailleurs grande conviction, me semble-t-il. Gauchet tente une explication, sans y aller, pour ainsi dire, avec le dos de la cuiller : "La perspective révolutionnaire, commence-t-il, s'est évanouie avec le projet dûment élaboré d'une transformation totale de la société existante." Puis, Gauchet commente ainsi la présence résiduelle de la "posture critique" alternative, présente aux marges de la société : "Cette intransigeance impérieuse est le style commun de divers néo-gauchismes que l'on a vu fleurir au cours de la dernière période en renouvelant de vieilles causes [...]. Ces activismes allant jusqu'au fanatisme sont certes minoritaires [...]. Hors de toute militance, cette intolérance vindicative trouve son répondant quotidien dans l'ambiance de haine généralisée qu'exhalent les réseaux sociaux. [...] cet underground du ressentiment, de la proscription et du lynchage est là pour rappeler le dangereux cousinage des bons et des mauvais sentiments."

 

L'heure de la relève

   Plus loin, Marcel Gauchet pointe directement les Gilets jaunes, en leur associant l'expression terrible de "fondamentalisme démocratique sans compromis". C'est probablement bien trouvé, mais la charge est-elle juste ? Ne manquerait-t-elle pas de nuance ? Pour ma part, je n'ai participé à aucune manifestation des Gilets jaunes. En revanche, j'ai suivi chaque samedi, sur les chaînes d'info continue, leurs journées de manifestation, aux débordements incontrôlés. Le mouvement des Gilets jaunes, sans arrière-fond historique, sans références politiques compliquées, sans organisation cohérente, donnait lieu à des commentaires globalement neutres de la part des journalistes et des spécialistes invités. Ces derniers, formés à Sciences Po ou dans des universités de sociologie, bien au fait des stratégies révolutionnaires, avaient évidemment lu Debord (ils sont payés pour ça), mais aussi ce qui s'est écrit depuis. Comprendre les Gilets jaunes est possible, sans peut-être recourir à une prose polémique comme celle que Gauchet utilise, et dont j'ai donné un exemple.

   Ce que j'attends d'une revue, mélangeant "le goût de la tradition littéraire et des humanités, le sens des Lumières", comme le dit Pierre Nora dans Charlie, c'est qu'elle m'expose avec talent une situation plus ou moins complexe. Le Débat aurait pu poursuivre ce travail théorique, dans d'autres mains. Car si Le Débat arrête après ce dernier numéro, le débat, avec un d minuscule, lui, ne cessera jamais. Pour demeurer au chapitre des Gilets jaunes, évoquons simplement le film récent de David Dufresne, Un pays qui se tient sage. C'est au cinéma (peut-être la "nouvelle forme" dont parle Pierre Nora), une enquête documentaire axée sur les violences policières. Les images sont bien connues, mais soulèvent toujours l'émotion, trop facilement sans doute. Il appartiendra dans l'avenir à d'autres cinéastes, d'autres écrivains, historiens ou sociologues, etc., de proposer avec davantage d'objectivité des réflexions sur ce genre de phénomènes saillants que traversent nos sociétés. Le débat, donc, n'est pas mort, et la relève est prête. Vive le débat !

 

Le Débat, "40 ans". Numéro 210, mai-août 2020. Éd. Gallimard, 24 €.  

14/03/2016

La liberté

Sartre au flore.jpg

   À un certain stade de son raisonnement, la sociologie déçoit. Ainsi de Pierre Bourdieu partant en guerre, dans Les Règles de l'art, son livre sur Flaubert, contre Sartre qui, dans L'Être et le Néant (quatrième partie, chapitre 2), pointait déjà du doigt les insuffisances de la méthode psychologique (la sociologie de l'époque). On a beau, soutenait Sartre, essayer d'expliquer le génie d'un Flaubert par toutes sortes de circonstances matérielles, il restera toujours en fin de compte dans le génie créateur une part d'indécidable, de "non-réductible" ; autrement dit, pour parler comme Sartre lui-même, il en va ici de "la contingence même de toute existence réelle" ; bref, de l'humain, ajouterai-je. L'idée fondamentale – qu'on pourrait d'ailleurs, mais sur un autre plan, plus philosophique que sociologique celui-là, critiquer – est que Sartre pensait que le sujet pouvait demeurer "libre". C'est une très belle affirmation de Sartre, qui le rapproche des artistes bien plus que des philosophes. Bourdieu, en revanche, ne croyait pas à cet effort intime de "transcendance de l'ego", y compris dans le cas du génie créateur. Il faut bien admettre que notre monde moderne dans son intégralité se pose cette question désormais dans les termes mêmes du sociologue. Hélas !

Illustration : Sartre au Café de Flore

14/05/2015

Emmanuel Todd et les contradictions de l'anthropologie

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   Parmi les anthropologues français, Emmanuel Todd a toujours fait preuve d'une certaine singularité, sans doute parce que l'université française ne l'a jamais vraiment intégré. C'est peut-être une chance, et le public ne s'y trompe pas, qui lit ses livres avec curiosité. Ceux qui auront été un peu dépités par l'essai de Zemmour, se reporteront avec profit au nouvel essai de Todd, écrit quasiment à chaud dans les quelques mois qui ont suivi les attentats du 7 janvier et la manifestation géante du 11. Pour tous les "Charlie" de France, qui se demandaient pourquoi ils ont manifesté ce jour-là, Emmanuel Todd a concocté une petite explication sociologique qui ne devrait pas les laisser indifférents.

   Qui est Charlie ? se présente de fait comme un travail anthropologique, élaboré à partir de l'observation scientifique des structures de la famille et de la religion, qui est la marque de fabrique de l'auteur depuis une quarantaine d'années. Dans les conclusions qu'il en tire, Todd n'hésite cependant pas à donner un tour polémique à son livre, ce qui lui fait prendre par moments des allures de pamphlet. Ceci explique la réception houleuse de ce Qui est Charlie ? dans la presse et même le monde politique, puisque le premier ministre Manuel Carlos Valls n'a pas hésité à proclamer sa détestation outragée.

   L'une des cibles d'Emmanuel Todd, on le sait désormais, est l'Europe économique née à Masstricht, décrite volontiers comme la dictature d'une petite élite technocratique qui gère la pauvreté qu'elle a délibérément instituée parmi le peuple en s'enrichissant elle-même sans scrupules. Et quand Todd a vu, le 11 janvier dernier, les foules immenses suivre benoîtement le président socialiste François Hollande ("l'obéissance", comme le caractérise Todd),  entouré de Merkel ("la domination, l'austérité"), de David Cameron ("le néolibéralisme"), de Jean-Claude Juncker ("le système bancaire luxembourgeois"), etc., etc., son sang n'a fait qu'un tour. Il n'a donc aujourd'hui pas de mots assez durs pour fustiger ses concitoyens, et c'est là, je crois, un aspect contestable de sa démonstration. Si l'on a assisté par certains aspects à une "hystérie" collective, il n'en demeure pas moins que, dans l'esprit de beaucoup de Français, la manifestation du 11 janvier n'était nullement un acquiescement aveugle, et surtout durable, à l'aventure socialiste menée actuellement d'une manière si désastreuse dans le pays.

   L'essai d'Emmanuel Todd repose néanmoins pour l'essentiel sur des considérations anthropologiques, et c'est la partie la plus troublante de son travail, et la plus convaincante aussi. Le sous-titre, "sociologie d'une crise religieuse", nous met sur la voie. Todd examine ainsi l'implantation ancienne du catholicisme dans les régions françaises, et en déduit une survivance symbolique qu'il qualifie de "zombie", et qui, selon lui, manifeste des réflexes anthropologiques "inégalitaires". Cette survivance d'une mentalité passée explique bien des péripéties politiques actuelles. J'ai trouvé, en ce qui me concerne, la démonstration fort probante. Fallait-il pour autant l'élargir vers une généralité absolue ? Todd écrit en effet : "Les forces sociales qui se sont exprimées le 11 janvier sont celles qui avaient fait accepter le traité de Maastricht." Là encore, n'est-ce pas un peu rapide ?

   En revanche, ce que Todd a, me semble-t-il, très bien vu, c'est l'importance du phénomène religieux à prendre en considération. Nous avons, d'une part, une religion qui disparaît, le christianisme, et qui peine à offrir des substituts, laissant les individus dans un sentiment d'angoisse vive, assez proche du nihilisme. Et d'autre part, nous assistons en France à l'émergence d'une nouvelle religion, qui pèse déjà 5 % de la population, l'islam. Cette dernière religion est celle d'une minorité, note Emmanuel Todd ; elle est également celle des plus pauvres. Or, elle se voit rejetée de toutes parts, et prise comme bouc émissaire face à tous les problèmes auxquels la société française est confrontée. Todd pousse cette idée très loin, soulignant au passage l'idéologie du laïcisme outrancier, qui va jusqu'à faire du blasphème un devoir : "La République, écrit-il, qu'il s'agissait de refonder [en ce 11 janvier] mettait au centre de ses valeurs le droit au blasphème, avec pour point d'application immédiat le devoir de blasphémer sur le personnage emblématique d'une religion minoritaire, portée par un groupe défavorisé." Qui plus est, et Todd y revient à plusieurs reprises, cet ostracisme qu'il dénonce, et dont les banlieues font les frais, est un terreau particulièrement fertile pour l'antisémitisme.

   On pourrait discuter très longuement des thèses qui émaillent l'essai d'Emmanuel Todd, soit pour les contredire, soit pour les approuver plus ou moins. Car leur intérêt n'est-il pas en effet de créer un débat sans hypocrisie ? Jadis, un Baudrillard savait prendre ainsi à revers tous les préjugés, mais avec plus d'humour, et de cynisme, comme pour nous dire : "De toute façon, c'est foutu !" Cela passait malgré tout avec davantage de souplesse. Je regrette surtout qu'Emmanuel Todd ne fasse pas de plus amples références à la philosophie. Dans Qui est Charlie ? aucun philosophe n'est cité, aucune pensée fondatrice n'est convoquée pour donner quelque plus large vision d'ensemble. Un sociologue comme Pierre Bourdieu, par exemple, se référait de manière centrale à Kant. Emmanuel Todd évolue dans le monde clos de sa spécialité, n'en sortant, on l'a vu, que pour tirer des leçons qui auraient mérité davantage de nuances. Une certaine dialectique lui fait défaut. Mais il faut bien sûr lire son livre malgré tout passionnant, extrêmement intelligent, qui est un travail unique en ces temps de conformisme idéologique. La gravité de la situation nous y invite plus que jamais.

Emmanuel Todd, Qui est Charlie ? Sociologie d'une crise religieuse. Éd. du Seuil, 18 €.